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de Nievsky. L’affluence des curieux était tous les jours énorme. Quelqu’un s’avisa tout à coup de dire que le nez se trouvait dans le magasin de Jounker ; et le magasin fut assiégé par une telle foule, que la police elle-même dut s’en mêler et rétablir l’ordre. Un spéculateur à mine grave, portant favoris, qui vendait des gâteaux secs à l’entrée des théâtres, fit fabriquer exprès de beaux bancs solides, qu’il plaça devant le magasin et sur lesquels il invitait obligeamment les assistants à monter, pour le prix modique de quatre-vingts kopecks. Un colonel qui avait de très beaux états de service sortit même exprès pour cela de meilleure heure qu’à l’ordinaire, et il ne réussit qu’à grand’peine à se frayer un passage à travers la foule ; mais à sa grande indignation, il aperçut, dans la vitrine du magasin, au lieu du nez, un simple gilet de flanelle et une lithographie qui représentait une jeune fille reprisant un bas, tandis qu’un jeune élégant, avec une barbiche et un gilet à grands revers, la regardait de derrière un arbre – lithographie qui se trouvait à cette même place depuis plus de dix ans.

Le colonel s’éloigna en disant avec dépit :

– Comment peut-on troubler le monde avec des récits aussi stupides et aussi peu vraisemblables !

Puis ce fut un autre bruit : le nez du major Kovaliov se promenait non sur la Perspective de Nievsky, mais dans le jardin de Tauride ; on ajoutait même qu’il s’y trouvait depuis longtemps déjà, que le fameux Kozrev-Mirza, lorsqu’il y séjournait encore, s’étonnait beaucoup de ce jeu bizarre de la nature. Quelques étudiants de l’académie de chirurgie se rendirent exprès dans ce jardin. Une grande dame écrivit au