Page:L'âme russe, contes choisis, trad Golschmann et Jaubert, 1896.djvu/119

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de le mettre dans un flacon rempli d’alcool ou, ce qui vaut encore mieux, de vinaigre chauffé, mêlé à deux cuillerées d’eau régale, et alors vous pourrez le vendre encore à un bon prix. Moi-même je vous le prendrais bien, pourvu que vous n’en demandiez pas trop cher.

– Non, non, je ne le vendrai pas pour rien au monde. J’aime mieux qu’il soit perdu.

– Excusez, fit le docteur en prenant congé. Je croyais vous être utile ; je n’y puis rien ; du moins vous êtes-vous convaincu de ma bonne volonté.

Ce disant, le docteur quitta la chambre, d’une démarche noble et fière. Kovaliov ne la regarda même pas ; plongé dans une insensibilité profonde, il ne vit passer devant lui que le bord de ses manchettes, blanc comme neige, qui sortait des manches de son habit noir.

Il se résolut dès le lendemain, avant de porter plainte, à écrire à la femme d’officier supérieur, pour voir si elle ne consentirait pas à lui rendre sans contestation ce qu’elle lui avait pris. La lettre était libellée comme suit :

« Madame Alexandra Podtotchina,

« Je comprends difficilement vos façons de faire. Soyez certaine qu’en agissant ainsi vous ne gagnerez rien et ne me contraindrez nullement à épouser votre fille. Croyez-moi, l’histoire de mon nez est éventée ; c’est vous et nul autre qui y avez pris la part principale. Sa séparation inopinée d’avec la place qu’il occupait, sa fuite et ses déguisements, tantôt