– C’est lui, c’est bien lui ! disait-il. Voici même le bouton qui m’a poussé hier sur le côté gauche.
Et le major faillit rire de ravissement.
Mais rien n’est durable dans ce monde, et c’est pourquoi la joie est moins vive dans l’instant qui suit le premier, s’atténue encore dans le troisième, et finit par se confondre avec l’état habituel de notre âme, comme le cercle que la chute d’un caillou a formé sur la surface de l’eau finit par se confondre avec cette surface. Kovaliov se mit à réfléchir, comprenant bien que l’affaire n’était pas encore terminée : le nez était retrouvé, mais il fallait encore le recoller, le remettre à sa place.
– Et s’il ne se recollait pas ?
À cette question qu’il se posait à lui-même, Kovaliov pâlit.
Avec un sentiment d’indicible frayeur, il s’élança vers la table et se plaça devant la glace afin de ne pas reposer le nez de travers. Ses mains tremblaient.
Avec toutes sortes de précautions, il l’appliqua à l’endroit qu’il occupait antérieurement. Horreur ! le nez n’adhérait pas !… Il le porta à sa bouche, le réchauffa légèrement avec son haleine et de nouveau le plaça sur l’espace uni qui se trouvait entre les deux joues ; mais le nez ne tenait pas.
– Voyons, va donc, imbécile ! lui disait-il.
Mais le nez semblait être de bois, et retombait sur la table avec un bruit étrange, comme si c’eût été un bouchon. La face du major se convulsa.
– Est-il possible qu’il n’adhère pas ? se disait-il, plein de frayeur.