Page:L'âme russe, contes choisis, trad Golschmann et Jaubert, 1896.djvu/100

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voitures passaient devant lui qu’il lui eût été difficile d’en reconnaître une et, l’eût-il reconnue, qu’il n’aurait eu nul moyen de l’arrêter.

La journée était belle et ensoleillée. Une foule immense se pressait sur la Perspective ; toute une cascade fleurie de dames se déversait sur le trottoir. Voilà un conseiller de cour qu’il connaît et à qui il octroie le titre de lieutenant-colonel, surtout en présence des autres. Voilà Iaryghine, son grand ami, qui toujours fait faire remise[1] au boston, quand il joue huit, et voilà aussi un autre major qui a obtenu au Caucase le grade d’assesseur de collège : ce dernier lui fait signe de s’approcher.

– Au diable ! se dit Kovaliov… Eh, cocher ! mène-moi droit chez le maître de police.

Kovaliov monta en fiacre et ne cessa de crier tout le temps au cocher :

– Cours ventre à terre !

– Le maître de la police est-il chez lui ? s’écria-t-il en entrant dans l’antichambre.

– Non, monsieur, répondit le suisse, il vient de sortir.

– Allons bon !…

– Oui, continua le suisse ; il n’y a pas longtemps, mais il est parti ; si vous étiez venu un instant plus tôt, peut-être l’auriez-vous trouvé.

Kovaliov, le mouchoir toujours appliqué sur sa figure, remonta en fiacre et cria d’une voix désespérée :

– Va !

  1. Terme de jeu.