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LA FILLE

devenue pauvre, mais au moins je puis dire que je n’ai jamais mérité ce premier malheur ; je l’ai dû à un frère en qui ma confiance avait été poussée trop loin.

Mme La Troupe raconta à Stéphane cette première partie de sa vie que nos lecteurs ont déjà apprise de la bouche de Julienne.

— Voilà, dit-elle en terminant, comment du haut de la grandeur et de la fortune je me suis vue abaissée tout à coup au dernier échelon de la société et de la misère. Mais jusqu’alors j’avais conservé une partie de mon bonheur : la vertu et la religion. Un monstre plus terrible encore que le premier méditait sourdement le projet de me plonger dans un abîme plus profond que le premier, et d’où je ne devais jamais sortir : et cet abîme, le voilà, monsieur, dit Mme La Troupe en étendant les bras et en montrant les quatre murs de sa prison ; et ce monstre, vous allez le connaître dans un instant.

Ce fut trois mois après la mort de mon époux que je le vis pour la première fois ; ses manières polies, son air de respect et de modestie, sa honte apparente, tout me porta en sa faveur. Et pourtant, qui eût pensé que c’était un hypocrite auquel je ne devais pas me fier ? oui, monsieur, un hypocrite tel que l’enfer n’en a jamais connu, un hypocrite dont on ne pourra jamais approfondir la scélératesse et l’impudence…

Voyant le dénûment et la misère où nous vivions, ma chère petite fille et moi, il nous comblait de présents et de bontés, et dans toutes les transactions il montrait tant d’empressement, tant de délicatesse, que je ne tardai pas à m’attacher entièrement à lui et à lui donner une amitié et une confiance sans bornes. Je lui racontai tous mes malheurs il feignit d’y prendre part, et se répandit en invectives et en reproches contre mon frère ; et lui-même, le monstre, roulait dans son esprit diabolique la ruine de mon âme et de ma réputation. « Madame, me dit-il, vous n’avez plus rien à espé-