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rée à sa place. Mais Nada est morte ; nous avons été séparées malgré nous par un pouvoir plus fort que nous. Il n’y a eu ni de sa faute ni de la mienne ; j’attends donc avec patience le moment qui nous réunira de nouveau et pour toujours ; j’attends, ne vivant plus qu’à moitié, mais ne souffrant pas.

— Vous êtes chrétienne ? lui dit Maurice, frappé du caractère religieux et résigné des paroles qu’il venait d’entendre.

— Non, répondit-elle. J’adore le Dieu de ma mère, et pas d’autre.

— Et quel est-il ?

— Celui de la terre et du ciel

— Et commeht le nommez-vous ?

— Dieu.

— Vous ne lui donnez pas d’autre nom ?

— Quel autre conviendrait à sa grandeur ?

— Votre Dieu vous défend-il d’aimer ?

— Comment le défendrait-il, lui qui aime tout ce qui existe !

— Il ne vous défend pas d’aimer les étrangers ?

— Maudite soit la porte qui ne s’ouvre pas à l’étranger qui marche loin de son pays ! Maudit soit le cœur qui ne s’ouvre pas à la voix de celui qui est seul !

— Mais moi, moi, Razim, croyez-vous que vous pourries m’aimer quelque jour ?

— Je t’aime déjà.

— Déjà ! répéta Maurice en se levant avec une surprise que Razim dut prendre d’abord pour de la joie.

Mais un instant après son front s’obscurcit ; il se rassit, et, fixant la terre d’un air sombre, il se mit à méditer en silence.

Que se passait-il dans son âme ? et pourquoi cette parole, qui eût dû le rendre si heureux, l’avait-elle ainsi jeté dans une triste préoccupation ? Nul ne le sait ; et Razim, qui suivait de l’œil tous ses mouvements, ne put y rien comprendre.

Lorsqu’au bout de quelques minutes il releva la tête, un grand changement s’était opéré sur sa physionomie : il avait l’air calme, froid, railleur.

— Ah ! vous m’aimez déjà, dit-il à Razim avec un sourire sardonique. Et que dira de cela l’honnête Mikoa ?

— Rien. Qu’importe à Mikoa ?

— Et quoi que vous fassiez, il ne dira rien ?

— Rien. Pourvu que je ne souffre pas, Mikoa est content.

— Et il acceptera très bien tous les présents que je voudrais lui faire, n’est-ce pas ?

— Sans doute.

— Très bien ! J’en étais sûr, continua Maurice avec un sourire plus amer, parlant dans sa langue naturelle. Aussi quelle idée avais-je de croire que je trouverais dans ce petit coin de terre plus de vertu et de noblesse que je n’en ai trouvé dans toute notre Europe ! Ah ! prostitution ! prostitution ! salut ! Je suis obligé de te reconnaître pour la reine du monde !

— Qu’as-tu donc, cher étranger ? dit Razim en voyant le jeune homme se livrer à une colère dont elle ne comprenait ni la cause, ni l’expression.

— Rien, rien, répondit-il en se’rasseyant auprès d’elle, et en passant ses bras autour de sa taille. Tu es une jolie fille et je t’aime ; voilà tout.

Elle rougit, se dégagea doucement des bras de Maurice, et lui dit avec une dignité tranquille :

— Laisse-moi : on ne touche ainsi que sa femme. | Maurice la regarda un instant sans répondre, puis il prit le paquet qu’il avait apporté, l’ouvrit et étala tout ce qu’il contenait devant Razim, en lui disant : — Regarde. — Razim jeta les yeux sur les objets qu’il lui montrait, en prit même quelques-uns qu’elle examina avec une curiosité enfantine, les remit ensuite à leur place, en disant : — C’est bien beau ! — Puis elle se remit tranquillement à raccommoder ses filets.

— Tout cela est à toi, lui dit Maurice en lui présentant le paquet qu’il avait refermé.

— Je n’en ai pas besoin, répondit la jeune fille sans détourner les yeux de son ouvrage,.

— Besoin, non ; mais jamais femme de ton pays n’a vu briller devant elle nos ornements d’Europe sans les désirer aussitôt.

— Je n’en ai pas envie. Garde tes présents pour une autre à qui ils feront plaisir. Pour moi, Dieu m’a donné ce qu’il me fallait : un beau ciel pour m’éclaircr, un champ fertile pour me nourrir, et une case pour m’abriter. Si j’ai besoin d’autre chose, il me le donnera. Que sa volonté soit faite !

— Pardon ! pardon ! s’écria Maurice, bouleversé par ces simples paroles ; pardon, ange du ciel, que je ne méritais pas de voir. Je t’ai offensée dans mon cœur par mes pensées, et je viens de t’insulter encore par des offres ignominieuses.

Et, jetant au loin avec colère le paquet qu’il tenait à la main, il se mit à fondre en larmes.

— Ne pleure pas, lui dit doucement la jeune