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mière fois, sans accident, après quelques heures de marche.

La cabane était ouverte. Il s’en approcha, et, n’entendant aucun bruit au dedans, il se hasarda à y jeter un coup d’œil. Il n’y avait personne dans la première chambre ; mais tout y était en ordre, et quelques tisons qui brûlaient encore sur une espèce de foyer faisaient voir que les maîtres, s’ils étaient absents, n’étaient pas du moins bien éloignés.

Maurice, n’osant pénétrer dans l’intérieur pour frapper à la porte de la seconde chambre, se mit à faire le tour de la cabane, et à regarder en même temps dans toutes les directions. Au milieu du champ de blé qu’il avait remarqué le jour de sa première excursion, il vit une tête de femme qui se levait et se baissait à intervalles à peu près égaux. Il supposa que ce devait être son inconnue, et il se dirigea de son côté. Il arriva à quelques pas d’elle sans qu’elle détournât la tête. Elle était occupée à moissonner, et ne semblait pas avoir entendu les pas du voyageur.

Ne sachant comment l’aborder, il entonna la chanson du Ronco, espèce d’hymne héroïque qu’il avait trouvé dans les livres qui lui avaient servi à apprendre la langue polynésienne. À son accent, la femme le reconnut tout de suite pour un étranger ; car elle lui dit, sans se retourner :

Saint, et que dieu protège celui qui est loin de sa patrie ! Alors elle acheva de couper une poignée d’épis qu’elle tenait dans la main gauche, pois se redressant avec grâce, et regardant le jeune homme d’un air triste et dooux, elle lui dit :

— Que veux-tu ?

Son visage était si beau, son port si noble, sa voix si harmonieuse, que Maurice resta comme pétrifié devant elle, et ne pensa pas à lui répondre. Au bout d’un instant, elle lui répéta sa question avec la même voix, douce et triste, et sans plus d’impatience que la première fois. Obligé de faire une réponse, et n’en trouvant pas de bonne, Maarice s’avisa de dire qu’il avait perdu son chemin, et qme, surpris par la faim, il venait implorer la compassion de la belle moissonneuse et lui demander un peu de nourriture. Il espérait que, n’ayant aucune provision sous la main, elle serait obligée de rentrer dans sa cabane, et que là, il espérait lier avec elle une plus ample conversaton.

Mais elle, soulevant des feuilles qui étaient posées à terre à quelques pas, lui tendît un régime de banane et un épi de maïs rôti, et lui dit :

— Mangez.

Maurice obéit d’autant plus facilement que la marche lui avait donné un vif appétit. Cependant l’inconnue s’était remise à l’ouvrage et faisait tomber comme en cadence les épis sous sa faucille. Maurice, qui prenait déjà un double plaisir à voir son visage et à solliciter son obligeance, se plaignit de la soif, et la pria de lui donner à boire. Il craignait bien un peu qu’elle ne se fâchât de son indiscrétion et qu’elle ne lui montrât, sans répondre, le ruisseau qui coulait à peu de distance ; mais il espérait en même temps que sa bonté, en ne se démentant pas, la lui ferait admirer et aimer davantage. « Quand on a entre les mains une belle statue, se disait-il, on doit tout essayer pour l’embellir, même au risque de la briser. »

La jeune femme ne montra ni colère, ni étonnement. Elle quitta de nouveau sa faucille, prit un coco déposé sur les feuilles, et alla le remplir au ruisseau ; puis, le présentant au voyageur ;

— Bois, lui dit-elle avec son air de bienveillance accoutumée. Maurice vida le coco d’un trait, et remercia, moins pour montrer sa reconnaissance que pour prolonger une entrevue qui devenait de plus en plus agréable, et proposa ses services. L’inconnue, sans les accepter, ne les refusa pas.

— À quoi pourrais-tu être utile ? lui demandât-elle tranquillement.

— À tout ce que vous voudrai, repondit-il.

— Que sais-tu faire ?

— Tout ce que vous me montrerez.

— Eh bien ! j’ai assez coupé de blé maintenant. Aide-moi à faire des gerbes.

Et elle commença à en faire elle-même. Maurice voulut l’imiter ; mais son peu d’habitude le rendait maladroit, et la jeune femme avait achevé sa troisième gerbe, qu’il n’était pas encore venu à bout d’attacher solidement la première. Elle regarda un instant avec un démi-sourire ses tâtonnements inutiles ; puis, le poussant doucement, elle prit sa place, refit, en un tour de main, le lien auquel il avait travaillé un quart d’heure, et lui présenta sa gerbe très bien arrangée.

— C’est honteux, n’est-ce pas, lui dit Maurice, une pareilli maladresse ?