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LE DERNIER SAUVAGE.



Il y a quelques années, un jeune homme de bonne famille, nommé Maurice, résolut de s’embarquer pour faire le tour du monde. Lorsqu’il eut fait connaître son dessein, ses parents et ses amis cherchèrent à l’en détourner.

— Pourquoi l’éloigner de nous, lui dirent-ils ? pourquoi quitter la maison qui t’a vu naître, le jardin où tu as fait tes premiers pas, et le champ où dorment tes pères ? Que vas-tu chercher si loin de ta patrie ? Qu’ont les autres pays que nous n’ayons meilleur dans le nôtre ? et quelle contrée plus que la France t’offrira la réunion complète de toutes les choses qui font le bonheur de la vie ?

À cela Maurice répondit :

— Je pars, parce que je ne vois pour moi rien de mieux à faire. J’ai le mal de l’inconnu comme les autres ont le mal du pays. Je ne dis pas que ce qui est ailleurs soit mieux que ce qui est ici et je ne m’imagine pas que tout ce qui est lointain est beau ; mais, enfin, j’ai envie de voir autre chose que ce que j’ai vu jusqu’à présent.

Continuez à vivre le plus heureusement qu’il vous sera possible ; combles bien vite la petite lacune que fera mon absence dans vos existences, effacez, avec toute souffrance, toute rancune, et gardez seulement un bon petit souvenir à celui qui vous aura quittés pour vous imiter pour chercher de son mieux l’existence qui lui coovient. Adieu : souhaitez-moi un bon vent dans la voile de mon navire, un prompt retour si je suis malheureux loin de vous, et, si je suis heureux, une éternelle absence.

Au jour dit, Maurice s’embarqua. Le navire appareilla bravement, sortit vent arrière du port et gagna la haute mer.

Quand il vit disparaître à l’horizon les derniers sommets de sa terre natale, le bon jeune homme, meilleur qu’il ne se croyait lui-même, versa d’abondantes larmes. — je sais ce que je quitte, se dit-il tristement ; je ne sais pas ce que je trouve-