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ne s’oppose plus au mariage projeté. Ah ! oui, vous deviez être le fils d’un gentilhomme, vous ! Je ne savais pas ce que je disais tout à l’heure… Merci, mon Dieu ! car c’est toujours mon fils qui épousera Henriette.

Formose était redevenu sombre et pensif.

— Vous ne me répondez pas, Henri ?

— Ne parlons jamais de ce mariage, dit Formose en étouffant un soupir.

— Comment, demanda le comte étonné, vous ne l’aimiez donc pas ? vous voulez donc causer la mort de votre cousine ?

— Ma cousine ! s’écria Formose avec rage ; ma cousine… Henriette est ma fille !  !  !

— Sa fille ! répéta le comte atterré.

— Oui, j’ai appris hier cet horrible mystère ! Et il dévoila à M. de Larcy la scène de l’hôtellerie de la Trinidad à Irun, et la révélation involontaire de la duchesse.

Lorsque Formose eut cessé de parler, le vieillard, qui l’écoutait tremblant et oppressé, poussa un cri et tomba sans connaissance.

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M. de Larcy ne reprit ses sens qu’au bout de quelques heures. Quand il revint à lui, il était dans la grande salle du château de Blenneville. Mlle d’Orion était à ses côtés, pâle et inquiète, et ne sachant rien de ce qui venait de se passer.

Le comte rassembla ses idées comme s’il sortait d’un pénible sommeil ; il resta longtemps immobile, l’œil fixe et hagard, sans répondre aux interrogations de sa pupille. Puis, se souvenant tout-à-coup du mystère dévoilé par Formose, il laissa retomber sa tête dans ses mains, refusant de croire à tant d’horreurs. Il trouva sur une table, auprès de lui, une lettre cachetée de cire noire, à son adresse ; il l’ouvrit aussitôt, et reconnut l’écriture de Formose. Cette lettre contenait les lignes suivantes :

« Lorsque vous lirez ces lignes, j’aurai quitté Blenneville pour toujours.

« Je pars, car je ne me sens pas la force d’affronter, même une dernière fois, la vue de votre nièce, de cette chère Henriette qui est ma fille (ce mot presque effacé par une larme), et, — fatal amour ! — que j’aime comme un amant.

« Tâchez qu’elle soit heureuse ; de loin je veillerai sur elle.

« Surtout, qu’elle ne soupçonne jamais l’horrible secret dévoilé par sa mère. Dites-lui que je suis mort, que je suis allé on ne sait où ; mais, je vous en conjure, faites qu’elle ne me haïsse pas.

« Je m’éloigne avec le nom impur que j’ai porté jusqu’à ce jour ; je ne dois pas déshonorer le vôtre qui est sans tache.

« Adieu, monsieur, adieu, mon père ; permettez-moi de vous appeler ainsi pour la première et la dernière fois.

« Je signe ce billet du prénom que m’a donné ma mère.

« Henri. »

Après la lecture de cette lettre. le comte regarda à travers ses larmes Mlle d’Orion qui attendait, en tremblant, l’explication de tout ce qu’elle voyait depuis une heure.

— Mon enfant, lui dit M. de Larcy en la pressant dans ses bras, il te faut du courage.

— Quoi ! mon oncle, dit la jeune fille qui craignait de comprendre.

— Le prince, poursuivit le comte, a reçu ce matin une lettre qui lui annonçait la perte de sa fortune.

— N’est-ce que cela ? interrompit Mllc d’Orion avec un sublime sourire.

— Et… continua M. de Larcy qui n’osait achever.

— Parlez, parlez.

— Il a douté de nous, il est parti sans dire où il allait.

— Peut-être s’est-il tué ? s’écria la jeune fille.

— Peut-être ! répondit lugubrement le comte en comprimant ses sanglots.

Mlle d’Orion devint pâle comme une morte ; ses jambes fléchirent, elle s’évanouit dans les bras du comte.

En ce moment, la folle entrait dans le salon en chantant son refrain.

— Robes de noces !… fleurs d’oranger !… crêpes de deuil !… couronne de mort !…

Cinq mois après ce qui vient de se passer, une jeune fille était mourante dans une chambre de ce sombre et lugubre château de Blenneville ; c’était Mlle Henriette d’Orion.

La fuite subite de Formose avait plongé Mlle d’Orion dans une douleur muette et résignée. Sans soupçonner le vrai motif de ce brusque départ, elle pensait bien qu’il devait se rattacher à