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Formose poursuivit : Un jour, il y a bien longtemps de cela, je venais d’abandonner le presbytère où j’avais vécu pendant quatorze ans.

— Vous avez été élevé par un prêtre ? interrompit vivement M. de Larcy.

— Oui, monsieur, par un prêtre qui ne connaissait ni mon père ni ma mère.

— Et c’est en France que vous avez passé vos premières années ?

— Oui, en France, dans le Languedoc.

— Dans le Languedoc ? répéta le comte dont l’étonnement croissait à chaque parole de Formose.

— Dans le village d’E… à quelques lieues d’Agen. Mais, ajouta Formose, si vous m’interrompez ainsi, Monsieur le comte, il me sera impossible…

— Non, non, s’écria M. de Larcy qui s’était penché vers son interlocuteur, répondez-moi, dites-moi le nom de l’homme qui vous a élevé ?

— Son nom ? répliqua Formose en fouillant dans ses souvenirs.

— Oui, son nom, dit le comte en proie à la plus vive agitation.

— Il s’appelait… attendez… il s’appelait… Sauvin.

— L’abbé Sauvin ! êtes-vous bien sûr de ce que vous dites ?

— Sans doute, répondit Formose ; vous le connaissiez ?

— Oh ! tout cela n’est qu’un songe, se disait le comte suffoqué. Sauvin, le prêtre que j’ai vu il y a dix-sept ans… Mais alors, s’écriait-il en regardant fixement Formose, alors je suis… malheureux !… je suis votre père !

Formose immobile arrêta son regard terne sur M. de Larcy sans pouvoir prononcer une parole.

— Le voilà donc ce fils que j’ai tant pleuré ! répétait lugubrement le comte. Et de grosses larmes s’échappaient de ses yeux.

Formose n’était pas encore revenu de son étonnement ; il se croyait le jouet d’une hallucination ; il doutait de sa raison.

Tout-à-coup il sembla se réveiller, et rompant enfin le silence : — Vous êtes mon père ! dit-il au comte ; c’est vous qui êtes mon père ?… Eh bien, soyez maudit !

— Quoi ! s’écria le vieillard.

— Oui, reprit Formose, soyez maudit, vous qui m’avez éloigné du foyer de la famille, vous qui m’avez privé des conseils de votre amour, cette manne que le père doit à l’enfant ! C’est votre abandon qui fait que, depuis seize ans, je marche, le front levé, dans le sentier de l’infamie. J’aurais pu être honnête, vous avez voulu que je fusse criminel. Vous êtes mon père, vous ! c’est-à-dire mon plus cruel ennemi ; c’est vous qui rendrez compte à Dieu du mal que j’ai fait aux hommes !

— Malheur ! manieur ! dit M. de Larcy en joignant les mains.

— Ah ! que n’ai-je été en effet, continua Formose, le fils de la bohémienne dont vous parliez tout à l’heure ! Que ne suis-je né dans quelque crevasse des Alpes, dans quelque grotte des Pyrénées, au milieu d’une troupe de gitanos ! La bohémienne ne laisse pas son enfant sur le chemin ; elle ne l’abandonne pas à des mains étrangères ; mais elle emporte partout avec elle le petit malheureux qui, à défaut du pain qu’il n’a pas toujours, trouve au moins un baiser de sa mère et une caresse de ses frères et de ses amis.

— Mon Dieu ! s’écria le comte, mon Dieu ! ne suis-je donc pas assez puni d’un crime involontaire ?

Et il raconta alors comment sa seconde femme avait éloigné l’enfant du premier lit de la maison paternelle en le faisant passer pour mort.

À mesure qu’il parlait, la figure de Formose perdait peu à peu de son expression farouche. Aux derniers mots du coniie, il lui prit la main, et, s’abandonnant à l’attendrissement provoqué par ce récit, il baissa la tête pour cacher ses larmes.

— Vous pleurez, dit le comte non moins ému que Formose.

— Oui, répondit celui-ci, je pleure sur la honte de ma vie passée.

— Oublions le passé, s’écria tout-à-coup M. de Larcy, subjugué par la force du sentiment paternel, oublions tout. Pardonnez-moi comme je vous pardonne. Pour moi, ajouta-t-il tu ne fais que de naître. Formose est mort, il me reste mon fils, mon Henri, l’enfant dont j’ai pleuré la perte pendant trente années !

Et il se précipita dans les bras de Formose.

— Mon fils, mon enfant !… disait le vieillard. Je l’ai appelé bien souvent ; mais enfin il m’est rendu ! Que le ciel soit béni !

Maintenant, reprit-il d’un air souriant, rien