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préméditée, vous aurez causé le désespoir d’une famille ; vous aurez allumé la passion dans le cœur d’une jeune fille ; vous l’aurez compromise, en un mot, pour lui faire la plus sanglante injure, pour la dédaigner au dernier moment, après avoir employé toutes les ruses pour arriver jusqu’à elle !… Si telle a été votre pensée, vous n’avez pas espéré sans doute que ma nièce serait sans vengeur. Je suis vieux, ajouta le comte en s’animant ; mais mon bras a encore la force de soutenir une épée, et je saisirai cette occasion de venger l’honneur de ma famille et la mort de mon fils.

— Vous ne pouvez croire à une pareille infamie ! s’écria Formose.

— Je crois tout, Monsieur. Ce refus, à la veille de votre mariage, lorsque les bans sont publiés, lorsque tout Paris sait que vous devez épouser ma ; nièce, me démontre clairement que vous avez voulu vous jouer de nous, et que, pour arriver à votre but infâme, vous n’avez reculé ni devant le désespoir d’un père, ni devant la mort d’un rival honnête et sincère. Il sera si doux et si glorieux pour vous en effet de dire à vos amis : « On me refusait cette jeune fille, j’ai montré que je pouvais l’avoir, et je l’ai tuée… pour me divertir ! »

— Horreur ! s’écria Formose en cachant son visage dans ses mains.

— Quelle autre explication me donnerez-vous : de votre conduite ?

— Regardez-moi comme un misérable, mais ne me prêtez pas cette horrible pensée.

— Un misérable ! répéta le comte en laissant tomber sur Formose un regard sombre et dédaigneux.

— Oui, dit Formose, poussé à bout par les interprétations de M. de Larcy, je suis criminel, je suis infâme ! J’ai abusé de ce qu’il y a au monde de plus saint et de plus sacré ; je me suis introduit comme un malfaiteur au sein d’une famille honnête et heureuse, j’y ai porté le trouble et la désolation ; maudissez-moi, insultez-moi, je supporterai tout sans me plaindre.

— Ainsi, dit gravement le comte, je ne m’étais donc pas trompé.

— Monsieur le comte, vous avez cru, comme tout le monde, que j’étais gentilhomme, que j’étais prince, que je portais un nom honorable…

— Eh bien ? interrompit le comte.

— Je ne suis rien de tout cela ; vous voyez bien que je ne puis épouser votre pupille.

— Qui donc êtes-vous, infâme, qui avez abusé de notre bonne foi à tous, assassin de mon fils, car c’est la douleur de vous voir préféré par Henriette qui l’a poussé au suicide ? Par quel crime vous êtes-vous haussé jusqu’à cette audace ?

Formose baissa silencieusement la tête.

— Mais maintenant, reprit le comte, le regard rayonnant, vous n’êtes plus dangereux. Quand Mlle d’Orion saura qui vous êtes, elle rougira de cet indigne amour ; elle le rejettera loin d’elle avec mépris, et elle n’aura pas même un souvenir de dédain pour le lâche et l’imposteur.

— Oh ! non, non, jamais ! ne lui dites jamais cela ! dit Formose avec une sorte de fureur concentrée.

— Ne rien dire ? continua lentement le comte ; mais c’est ma vengeance ! Je ne cédais à ce mariage que parce que je craignais que la pauvre enfant ne succombât sous le poids de son amour ; mais aujourd’hui que je peux la guérir d’un mot qui sera votre éternel déshonneur, vous voulez que je me taise ? vous n’y pensez pas, Monsieur.

Cette dernière phrase avait été articulée avec le profond dédain d’un supérieur parlant à un subalterne.

— Ëcoutez-moi, Monsieur le comte, reprit Formose en proie à la plus violente agitation.

— Je n’écoute plus rien, dit M. de Larcy en se levant pour sortir.

— Vous resterez, vous m’entendrez-jusqu’au bout ! s’écria Formose en barrant le passage au comte ; vous verrez alors que vous ne pouvez me déshonorer aux yeux de Mlle d’Orion.

Le comte s’arrêta, subjugué par le geste et le regard étrange de Formose. Celui-ci reprit aussitôt :

— Je vous ai dit tout à l’heure que Formose n’était pas mon nom, que.je n’étais pas prince italien ; cela est vrai, je n’ai ni nom ni patrie, je suis un enfant trouvé.

— Un enfant trouvé ! répéta le comte avec mépris, le fils de quelque bohémienne !

— Qu’importe, je puis être aussi le fils d’un grand seigneur.

— Où tendent tous ces détails, Monsieur ?

— A vous révéler le secret qui m’a forcé de refuser la main dé votre nièce.

— J’écoute.