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— Jurez-le moi sur cette image, dit la folle en tirant un médaillon de son sein.

Formose regarda ce médaillon machinalement, puis il l’examina avec plus d’attention. Tout-à-coup son visage devint blême, il se leva tremblant, les yeux hagards, et il dit à la duchesse :

Ce médaillon, comment l’avez-vous eu ?

Mais la folle ne l’écoutait plus ; elle répétait, en jouant avec le médaillon : — Robes de noces ! fleurs d’oranger ! crêpes de deuil ! couronne de mort !

— Mon Dieu ! s’écria Formose, comment savoir ? comment l’interroger ? Ce médaillon, lui dit-il, n’est-ce pas en Espagne…

— L’Espagne ? répéta la duchesse en devenant rêveuse, et comme si ce mot eût éveillé en elle des souvenirs confus.

— Oui, continua Formose, vous avez trouvé ce médaillon à Irun ?

— Irun… interrompit-elle, en regardant fixement le prince.

—Un jour, continua Formose, vous dormiez dans une chambre, un homme entra tout doucement…

— Oui, oui, dit la duchesse, en passant ses mains sur son front… Je dormais… un homme… mais n’en parlez pas… Henriette, la fille d’un inconnu… Je dormais… L’Espagne… Irun… Et elle poussa un grand cri. Puis elle se remit à rire d’un rire féroce, et recommença à psalmodier sa complainte.

Formose était retombé anéanti sur le banc. Cet inconnu, qu’un homme avait poussé vers l’alcôve où reposait une femme endormie, c’était lui ; le médaillon lui avait été donné par le prêtre qui l’avait élevé ; Mlle d’Orion, qu’il allait épouser, était sa fille !

La découverte de cet horrible mystère l’avait plongé dans une stupeur muette ; il se croyait sous l’influence d’un rêve affreux ; il se palpait pour savoir s’il était bien éveillé. Un bruit étrange bourdonnait à ses oreilles ; il ne voyait plus qu’à travers un nuage. Il resta ainsi immobile et affaissé dans la léthargie du désespoir.

La douce voix de Mlle d’Orion, qui accourait vers lui en l’appelant, le réveilla de cette insensibilité de statue. À l’aspect de la jeune fille, ses yeux, affreusement dilatés, s’arrêtèrent sur elle. Il se leva machinalement, et obéissant tout-à-coup à un sentiment inconnu, il la prit violemment ses bras, déposa un baiser et une larme sur le front de la jeune fille, et se sauva comme un fou.

Le lendemain de cette scène affreuse, qui lui révélait le secret de son horrible amour, Formose fit prévenir M. de Larcy qu’il désirait lui parler en particulier. Il le suppliait de se rendre auprès de lui au plus tôt. Le prince ajoutait qu’une indisposition subite ne lui permettait pas de quitter sa chambre.

Une heure après la réception du message, M. le comte de Larcy était auprès de Formose.

La révélation de la duchesse avait produit une telle impression sur Formose, que cet homme, hier encore beau et jeune, était devenu vieux tout d’un coup. Ses cheveux noirs avaient blanchi en une nuit ; il ne semblait plus que l’ombre de ce qu’il était naguère. La stupeur causée par la connaissance de cet infernal mystère avait contracté ses traits et chassé de son visage abattu le prestige de la dernière jeunesse. À la première vue, le comte demeura étonné, et put à peine le reconnaître.

— Monsieur, dit Formose, en faisant un violent effort sur lui-même, ce que j’ai à vous annoncer est grave.

— J’écoute, Monsieur, interrompit froidement le comte.

— Je n’ignore pas, continua Formose, que vous ne voyez qu’avec chagrin s’avancer l’instant qui doit faire de moi le mari de votre pupille.

— C’est vrai, répondit M. de Larcy.

— Eh bien, soyez heureux, je renonce à la main de Mlle d’Orion.

— Il n’est plus temps, reprit le comte ; ma nièce vous aime ; de cette union maudite dépend peut-être le salut de sa vie, et, quelles que soient mes répugnances personnelles, j’ai dû les faire taire en face des obligations du devoir. Je ne vous rends pas votre parole ; demain la cérémonie aura lieu.

— C’est impossible.

— Impossible ! murmura le comte qui, aux premiers mots de cette confidence, avait pensé que Formose jouait une comédie de générosité.

— Oui, Monsieur le comte, c’est impossible.

— Ainsi, dit M. de Larcy qui ne voyait plus dans cette rétractation tardive qu’une offense