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il avait acquis la certitude que la vie de sa pupille était menacée s’il ne donnait pas son consentement à cette union contre son gré ; et, dans la crainte d’un nouveau malheur, il s’était résolu à cet immense sacrifice.

Une fois dans cette disposition d’esprit, M. de Larcy n’eut plus qu’une idée, hâter les préparatifs de ce fatal mariage, afin de pouvoir aller ensuite ensevelir dans le silence de l’oubli une vieillesse solitaire et sombre.

Mlle Henriette avait compris la pensée et la souffrance de son oncle, et malgré le bonheur que lui causaient la vue de Formose et la perspective de son rêve enfin réalisé, elle se sentait inquiète et n’osait croire à la félicité d’une union inaugurée sous de si tristes auspices.

Trois semaines s’étaient écoulées depuis l’arrivée du prince. Chaque jour il avait vu Mlle d’Orion, et chaque jour ils s’étaient dit ces charmantes paroles que le cœur sait trouver quand il aime. Ils allaient enfin être heureux, rien ne s’opposait plus à ce bonheur conquis malgré d’insurmontables obstacles.

Un soir, Formose était assis sur un banc de pierre, dans une allée du parc ; la tête penchée sur sa poitrine, il recommençait ce long et triste pèlerinage de la pensée à travers les accidents de sa vie ; à la veille d’unir pour toujours sa destinée à celle de Mlle d’Orion, il se sentait déchiré par le remords de sa conscience ; le souvenir de ses crimes se dressait devant ses yeux, spectre terrible et menaçant ; il songeait à l’opprobre réservé à cette jeune fille si pure, si digne d’être heureuse, qui venait à lui avec la candeur de son amour et la confiance de ses dix-sept ans, si un jour on découvrait, sous le prince brillant et splendide, le vil aventurier voué au mépris de tous les hommes. Cette idée l’obsédait ; il se voyait insulté publiquement par quelque ancien compagnon rencontré par hasard, qui lui jetait à la face la boue de ses antécédents criminels. Dans ce moment, il eût voulu fuir Blenneville, et échapper à cette infernale vision, mais il était retenu par la force même de son amour. Il se débattait ainsi sous le poids de ses pensées contradictoires, maudissant Dieu, maudissant son amour et se maudissant lui-même. Des larmes brûlantes glissaient lentement le long de ses joues enflammées.

Tout-à-coup, en relevant la tête, il vit à quelques pas la duchesse d’Orion… la folle, qui le regardait avec ce rire lugubre qui n’appartient qu’à la folie.

Formose surpris la contempla un instant avec effroi, comme s’il eût craint que le regard de cette femme n’eût pénétré les secrets de sa méditation.

La duchesse, s’asseyant auprès du prince, lui dit presque bas, en répétant deux ou trois fois les mêmes mots, et en regardant autour d’elle pour s’assurer que personne autre que Formose ne pouvait l’entendre :

— Vous ne savez pas… vous ne savez pas… Henriette va se marier.

— Ah ! répondit Formose ; qui vous a dit cela ?

— J’ai vu, reprit froidement la folle, des robes de noces dans le salon, une corbeille de mariée, des fleurs d’oranger. Moi aussi, dit-elle en donnant à sa voix une inflexion mélancolique, j’ai posé autrefois sur ma tête une belle couronne, mais cela m’a porté malheur.

— Que vous est-il arrivé ? demanda Formose, curieux de connaître la cause de cette incurable maladie.

— Ah ! j’étais belle aussi, continua la duchesse ; j’avais une robe blanche et un long voile. Pauvre voile, pauvre robe, où êtes-vous ? Et elle se mit à fredonner les notes plaintives de sa chanson accoutumée.

Formose contemplait avec compassion cette femme qui avait dû être belle, et qui maintenant semblait le spectre de la douleur.

— Écoutez-moi, reprit la pauvre folle ; il ne faut pas qu’Henriette se marie. Oh ! non, dit-elle ; le mariage, c’est la mort ! Et elle demeura rêveuse pendant quelques instants.

— Vous avez donc été bien malheureuse ?

— Oui, répliqua la duchesse. Et elle se prit à rire en faisant claquer ses dents les unes contre les autres.

— Voyons, dit Formose, en pressant les mains de la folle, dites-moi ce qui vous a tant fait souffrir.

— Vous êtes donc un ami, vous ? répliqua la duchesse, en fixant son regard morne sur Formose.

— Oui, je suis votre ami, vous le savez bien.

— Alors promettez-moi de vous opposer au mariage d’Henriette.

— Allons, je vous le promets, répondit le prince en souriant.