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— J’arrive, Madame ; ma première visite a été pour vous.

— C’est charmant, dit la marquise ; on n’est pas plus, aimable et plus empressé. Nous apportez-vous des nouvelles de votre voyage ?

— Oui, quelques-unes, répondit le vicomte en regardant le prince.

À la vue de M. de Larcy, Formose avait été saisi d’une sorte de tremblement nerveux ; mais rappelant aussitôt à lui tout son sang-froid, il reprit son visage calme et impassible. L’impression qu’il éprouvait ne se manifestait que par un léger mouvement des lèvres presque imperceptible. La manière dont le vicomte venait de le regarder ne lui laissait plus aucun doute ; M. de Larcy devait connaître sa complicité avec les hôtes de Blumster.

— Et quelles sont ces nouvelles ? avait demandé la marquise.

— Monsieur, dit le vicomte en montrant Formose, et en s’accoudant sur le marbre de la cheminée juste en face du prince, nous a fait, il y a quelques mois, le récit d’une ballade fantastique en s’accompagnant au piano ; s’il veut être assez bon pour me servir d’accompagnateur, je vais vous en raconter une qui aura le double mérite du merveilleux et de la vérité.

— Je ne me sens pas disposé ce soir, répondit Formose en tirant de sa poche un petit portefeuille en nacre qu’il fit tourner entre ses doigts.

— C’est fâcheux, reprit M. de Larcy avec un sourire amer. Puisqu’il en est ainsi, je serai forcé de raconter ma ballade tout simplement. Il est vrai, ajouta-t-il, qu’elle est assez intéressante par elle-même pour pouvoir se passer du secours de l’art et de la mise en scène.

— Ne nous faites donc pas languir, dit la marquise.

— Je commence, madame.

Il y a aux portes de France un vieux château de l’aspect le plus romantique.

— Ah ! ceci promet, dit Mme de Veyle.

— Ce château, poursuivit le vicomte, sert de retraite à quelques jeunes gens dégoûtés du monde.

— Un couvent de trappistes, interrompit la marquise.

Formose oppressé pouvait à peine respirer.

— Ce n’est pas cela, continua le vicomte lentement et comme pour savourer plus longtemps la vengeance de ses paroles dont chacune perçait, comme un fer rouge, la poitrine de Formose. Ces jeunes gens, amants de la solitude, occupent leurs loisirs à… assassiner les voyageurs.

— Ah ! mon Dieu, s’écria la marquise.

— Ce sont peut-être les auteurs des fausses traites ? dit M. de Pommereux.

— Cela pourrait bien être, répondit le vicomte.

Formose étouffait ; ses yeux, ordinairement pâles, semblaient en ce moment injectés de sang.

— Je continue, reprit M. de Larcy :

Ces jeunes gens ne sont pas des misérables vulgaires ; ils sont d’autant plus criminels, que tous semblent avoir reçu une certaine éducation, et qu’ils mettent leur intelligence au service du meurtre et de l’assassinat.

Ici le vicomte fit une pause et laissa tomber sur Formose un regard accablant et plein de mépris.

—Ces misérables assassins, continua-t-il, vous les avez peut-être rencontrés sur votre route, vous tous, Messieurs ; ils vous ont peut-être parlé à vous, Mesdames, car ils sont élégants, ont dans le monde d’excellentes manières, et peuvent lutter, par la fortune que leur a faite le crime, avec les gens les plus riches et les mieux placés.

— Mais ce que vous nous racontez là est horrible, dit la marquise.

— Oui, Madame, c’est horrible, c’est épouvantable ; mais cela est ainsi. Et qui vous dit que vous-même vous n’ayez pas été exposée à recevoir chez vous, dans votre salon, l’un de ces criminels ? s’écria le vicomte d’une voix stridente.

Formose fit un mouvement.

— Allons, vous êtes fou, mon cher vicomte, dit la marquise, je connais parfaitement toutes les personnes qui me font l’honneur de venir chez moi.

M. de Larcy sourit et continua : — Ces jeunes gens ont un chef. Ce chef, dit-il en élevant la voix et en dirigeant son bras vers le prince…

En ce moment, Formose laissa tomber à terre le portefeuille qu’il tenait à la main depuis quelques minutes, plusieurs papiers en sortirent et s’éparpillèrent sur le tapis ; le prince prit un de ces papiers, puis il s’approcha de M. de Larcy et lui dit avec un sang-froid sublime :

— À propos, M. le vicomte, pouvez-vous me dire si vous connaissez cette écriture ? je vous demande pardon de vous interrompre au milieu de votre intéressante histoire ; mais si je différais,