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s’il le faut absolument, et comme elle sera libre alors, elle agira à sa guise ; seulement elle vous en voudra toute sa vie, et vous n’aurez rien empêché.

— Je sais bien tout cela, murmura le comte de l’air d’un homme à moitié rendu.

— À la bonne heure, dit la marquise en prenant la main de M. de Larcy, vous voilà revenu à des idées raisonnables. Suivez mes conseils, vous ferez bien, et si vous êtes sage, ajouta-t-elle en faisant allusion aux vieilles prétentions du comte, nous verrons.

— Oh ! pour cela, répliqua M. de Larcy en regardant la marquise, c’est autre chose, il y a longtemps que je ne crois plus à vos promesses.

— Qui sait ? fit Mme de Veyle avec un sourire charmant.

Malgré sa conversation avec la marquise, le comte ne se regardait pas tout-à-fait comme battu ; cependant il ne pouvait se dissimuler la gravité des circonstances. Il envoya chercher son fils, au moment où celui-ci venait de recevoir la lettre qui lui enjoignait de partir pour Vienne sur-le-champ. Le jeune homme, à la vue de cet ordre qui le séparait de sa maîtresse, avait senti son cœur se briser.

Le comte lui expliqua alors les conséquences de sa folle passion, sa cousine détachée de lui et éprise d’un autre. Le vicomte, à cette nouvelle, éprouva une stupéfaction sans égale ; il n’avait pas encore calculé les suites que pourrait avoir son amour pour la Coradini. Il s’était si bien habitué à l’idée d’épouser sa cousine, qu’il demeura anéanti sous le coup des paroles de son père.

— Et qui aime-t-elle ? demanda-t-il.

— Le prince Formose.

— Le prince Form… Il n’acheva pas ; il se rappela alors les félicitations légèrement ironiques que le prince lui adressait un soir, à la sortie du Cirque, au sujet de sa nouvelle conquête, et sans soupçonner le piège dans lequel il était tombé, il sentit renaître contre cet homme une haine violente et implacable.

— Mais vous ne permettrez pas que ma cousine épouse cet aventurier, cet italien tombé on ne sait d’où, dit le vicomte.

— Je ferai tout ce qui dépendra de moi pour empêcher ce mariage ; pourtant, si ta cousine persiste à vouloir l’épouser, je ne peux pas m’y opposer.

— Que faire alors ?

— Il faut que tu quittes Paris sur-le-champ, que tu retournes à ton poste, je tâcherai de ramener Henriette. Je ferai, en un mot, toute ce que je pourrai pour son bonheur et le tien. Mais aussi, s’être amouraché de cette Italienne !… ajouta le comte.

— Mon père, elle est si belle !

— Eh parbleu, tu paieras assez chèrement sa beauté. Deux cent mille livres de rentes pour un enfantillage ! Enfin tout n’est pas perdu. Pars ce soir, Henriette te saura à Vienne et verra par là que ton amour n’était qu’une folie, un passe-temps, un caprice de quelques jours ; elle te pardonnera peut-être.

Le vicomte aurait bien voulu résister et demeurer à Paris, mais l’ordre était formel. Il consentit donc à partir, mais avec l’intention de revenir aussitôt ; il ne ferait que toucher barre à Vienne et serait de retour à Paris au plus tard dans quinze jours.

Avant de quitter Paris, il alla prendre congé de la Coradini, qui, à la nouvelle de ce départ précipité, donna les signes d’une douleur échevelée. Après quoi, le vicomte, en proie aux sentiments les plus contradictoires et aux plus sombres idées, se dirigea vers la capitale de l’Autriche,

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Aussitôt que Formose avait connu le départ de M. de Larcy et de sa nièce, il avait pris lui-même la route de Paris, disant adieu, non sans un triste serrement de cœur, à l’allée du kiosque, au château de Blenneville, à ce grand parc, qui avaient été témoins des scènes de son amour, et où, pour la première fois, s’étaient assouplis cette nature rebelle, ce cœur jusqu’alors indompté ; il sut à son arrivée tout ce qui s’était passé. Fort de l’amour de Mlle Henriette, de son serment solennellement juré, et de la bienveillante protection de la marquise de Veyle, le prince résolut de tenter toutes les démarches auprès de M. de Larcy pour lui demander la main de sa pupille.

Le comte avait en quelque sorte été préparé à cette inévitable visite par sa conversation, avec la marquise, laquelle n’agissait, en cette circonstance, que d’après les prières de son amie Mlle d’Orion. C’est pourquoi il s’était à l’avance dressé un plan, une espèce de route, de conduite étudiée