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gens de la maison de Larcy, tu commenceras par leur apprendre la nouvelle acquisition que je viens de faire auprès de Blenneville. Tu diras que nous ne tarderons pas à partir pour la campagne.

— Mais, Monseigneur, on se doutera alors…

— Laisse-moi parler. Tu feras ce que je te dis… De cette façon, M. de Larcy et sa nièce ne manqueront pas de savoir que je vais être cette année leur voisin de campagne.

— Et l’affaire de la forêt, il n’y faut plus penser.

— Assure-toi, poursuivit Formose, de trois hommes que tu posteras dans la forêt, la nuit du passage de Mlle d’Orion ; ils seront armés jusqu’aux dents… de pistolets vides.

— Je comprends, des brigands d’opéra-comique..

— Précisément ; ils arrêteront la chaise du comte. Au moment où ils simuleront de la dévaliser, toi et moi nous arriverons au grand galop de nos chevaux, et mettant les brigands en fuite, nous jouerons le rôle de la Providence.

— J’étais un triple sot, s’écria Angelo. Je vois clair maintenant… une petite comédie honnête, un proverbe à votre bénéfice. Les brigands attaquent, ils vont mettre tout à feu et à sang. Le comte va être assassiné, la nièce enlevée ; nous arrivons à la dernière scène, nous sauvons tout le monde, et vous entrez de plain-pied au château de Blenneville avec le titre de libérateur.

— Allons, dit Formose en riant, tu m’as compris.

— Auprès de vous, je ne suis qu’un enfant, monseigneur.

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EN NORMANDIE.

Pendant que Formose dressait ses plans, voici maintenant ce qui se passait à l’hôtel d’Orion.

Mlle Henriette n’avait pas été sans s’apercevoir du singulier hasard qui faisait qu’elle rencontrait partout le prince Formose. Depuis qu’elle avait éprouvé pour la première fois chez la marquise de Veyle, la fascination de son regard triste et dominateur, elle ressentait une émotion, une sorte de trouble intérieur à la vue, ou même au souvenir du prince : elle se laissait glisser, sans s’en douter peut-être, sur la peine d’un sentiment confus et indéfini ; elle se demandait pourquoi la pensée de cet homme, qu’elle n’avait fait qu’entrevoir, la plongeait pendant des heures entières dans le vague des rêveries à perte de vue.

La veille du départ de Mlle Henriette pour la Normandie, Mme de Veyle était venue lui faire sa visite d’adieu. Les deux jeunes femmes brodaient dans le salon en causant de choses indifférentes, Mlle d’Orion semblait distraite ; elle ne répondait qu’avec une sorte de contrainte mal déguisée aux interrogations de la marquise. Celle-ci lui avait demandé sans résultat, à plusieurs reprises, la cause de sa tristesse, lorsqu’enfin vaincue par les sollicitations de son amie, Mlle Henriette rompit le silence.

— Puisque tu exiges que je te parle franchement, dit-elle à la marquise, je t’avouerai que je ne vois pas approcher sans trouble l’époque de mon mariage avec mon cousin. Ce pauvre Eugène, je l’aime bien, sans doute ; mais il me semble que je ne l’aime pas assez pour enchaîner à jamais ma destinée à la sienne.

— Oui, tu l’aimes comme un frère.

— Justement, dit Mlle Henriette ; je serais ravie de son bonheur, et pourtant je ne sens pas pour lui cet entraînement involontaire de la pensée vers l’élu de nos espérances. Je reconnais à mon cousin des qualités et les meilleures intentions de m’être agréable ; mais jamais il n’a éveillé en moi cette ivresse de l’âme qui nous crie à chaque instant : C’est lui que tu dois aimer ! Enfin, faut-il te le dire, on m’apprendrait qu’il en aime une autre, que cette nouvelle me trouverait indifférente.

— Mais il me semble, reprit bientôt Mme de Veyle, que toutes ces idées te sont venues bien à l’improviste. Pensais-tu ainsi il y a vingt jours ?

— Que veux-tu dire ? demanda Mlle Henriette.

— Qu’il y a quelqu’un qui est pour quelque chose dans ces sombres réflexions.

— Quand cela serait ainsi ? dit Mlle d’Orion en rougissant.

— Oh ! je ne trouverais pas le moindre mot à redire, chère petite, reprit la marquise en embrassant la jeune fille, et comme ravie de cette confidence. Chacun est libre de son cœur, et si le prince a su te charmer, ajouta-t-elle avec malice, il est jeune, il est beau, il est noble, rien ne semble s’opposer à la réalisation de ton rêve ?

— Tu es folle, répondit la jeune fille ; le prince