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ment de cette histoire. À son aspect, les six péchés se levèrent et vinrent au-devant du septième qui les résumait tous. Formose, heureux et souriant, fit le plus aimable accueil à chacun. Après quelques phrases banales, Formose prit la parole.

— Quel est celui de vous qui m’a fait l’honneur de m’écrire ce matin pour me parler d’une affaire ? n’est-ce pas vous, Chaulieu ?

— Oui, prince, répondit celui-ci.

— De quoi s’agissait-il ?

— De cinquante mille francs à prêter à M. le marquis de Falvy, contre une lettre de change de soixante-quinze mille.

— Qui se chargerait ostensiblement de traiter l’affaire ?

— Le juif Génins.

— Berthold, dit Formose, confie la somme à Chaulieu pour qu’il la fasse passer à l’intermédiaire ; mais de la prudence, Chaulieu !

— Soyez tranquille.

— Pour moi, dit un autre, il me faut trente mille francs pour demain ; je fais une opération de bourse à coup sûr.

— Comment cela ?

— Je m’entends de compte à demi avec l’homme de confiance du banquier Rosmalen, qui recevra demain matin, par ses courriers, des nouvelles importantes d’Espagne et d’Alexandrie.

— Va pour la somme demandée, répondit Formose.

— J’ai gagné hier dix mille francs au bal donné par les comités de bienfaisance, ajouta un troisième.

— Diable ! interrompit Formose, vous battez les philanthropes ; quel talent !

Au bout de quelques minutes, le prince reprit :

— Vous savez, Messieurs, que votre dépari pour Blumster était fixé à la fin de ce mois ; je l’ajourne jusqu’à la fin du mois prochain : vous saurez bientôt ce qui a fait changer ma résolution. Courez donc encore l’Europe pendant un mois, et quittez Paris, où il n’y a rien à faire dans ce moment ; mais, au 1er juillet, que tout le monde soit à son poste. S’il vous faut de l’argent pour tenter quelques opérations dans vos voyages, adressez-vous au caissier, dit-il en montrant Berthold. Vous, Chaulieu, vous irez à Baden ; vous, Croissy, à Vienne ; Mersan, à Londres ; Lorry, à Bruxelles ; Berthold restera à Paris. Tout est-il bien entendu ?

— Oui ! répondit-on de toutes parts.

— Alors, Messieurs, je ne vous retiens plus ; songez seulement qu’au 1er de juillet nous devons tous être à notre rendez-vous !

— Eh bien, demanda Berthold en se penchant à l’oreille du prince, où en est l’intrigue ?

— Tout va bien, répondit brièvement celui-ci. Puis il ajouta : Veille à ce qu’ils partent tous demain, ou après-demain au plus tard ; dans un pareil moment, la moindre imprudence me perdrait.

Formose, resté seul, passa dans son cabinet mystérieux, et travailla jusqu’à trois heures du matin. Après quoi il sonna son valet de chambre.

Angelo parut.

Cet Angelo, que nous avons laissé sur la route de la basse Normandie, et qui était revenu le surlendemain de son départ, après avoir rempli la commission du prince, était pour Formose un homme précieux. Le valet était digne du maître. Souple, adroit, entreprenant, audacieux, il pouvait passer pour le descendant légitime de cette lignée de sacripants que le théâtre de tous les pays à rendus a jamais illustres.

— Sais-tu quelque chose de nouveau ? demanda Formose.

— Les ordres de Monseigneur ont été exécutés.

— Raconte-moi cela.

— Cette après-midi, pendant que la voiture de Mlle d’Orion stationnait au bois, j’ai lié conversation avec le cocher ; nous avons bu ensemble, et je l’ai fait causer. M. de Larcy et sa nièce partent pour la campagne dans une huitaine de jours ; lundi prochain, selon toutes les apparences. Mlle d’Orion a l’habitude de voyager la nuit pour éviter la chaleur ; elle quittera Paris à trois heures et sera à Blenneville le lendemain matin.

— Très bien, répondit Formose qui paraissait réfléchir. Puis il reprit aussitôt : — Y a-t-il des bois sur la route ?

— Une forêt ravissante, Monseigneur, dit le valet qui croyait deviner la pensée de son maître, un amour de bois, sombre, mélancolique et planté tout exprès pour faciliter l’enlèvement des jeunes filles.

— Et où se trouve cette forêt ?

— À dix lieues en deçà du château… Ma foi, en la traversant, j’avais, je crois, devancé la pensée de monseigneur.

— Voici ce que tu feras : quand tu reverras les