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sur le bras de son cavalier, ivre de bonheur et d’amour, et lorsqu’il lui offrit la main pour monter en voiture, il sentit une pression significative qui lui fit refluer tout le sang vers le cœur.

Quand les deux jeunes gens se trouvèrent seuls, Formose comprit tout de suite l’avantage qu’il pouvait tirer de sa situation. Spéculant sur l’amour et l’inexpérience de M. de Larcy, il lui dit, en manière de plaisanterie, aussitôt que la Coradini se fut éloignée :

— Combien voulez-vous parier, Monsieur, que vous êtes amoureux de cette belle Napolitaine ?

Celle brusque interrogation ne déconcerta pas le vicomte ; il était tellement heureux d’avoir senti la petite main de l’Italienne frémir dans la sienne, que son cœur débordait, il aurait fait part au premier venu de l’ivresse de ses impressions, il aimait cette femme avec la fougue d’une âme qui s’exalte pour la première fois, et le prince, contre lequel il nourrissait depuis longtemps des préventions défavorables, ne lui apparut plus que comme un sauveur et un ami ; bien loin de trouver mauvais qu’un homme qu’il connaissait à peine eût deviné ses sentiments, il répondit d’un ton joyeux :

— Si je tenais le pari, vous gagneriez, Prince.

— Alors, reprit Formose, soyez heureux, car je suis sûr qu’elle vous aime : c’est une belle victoire, Monsieur de Larcy, ajouta-t-il, vous réussirez là où tous les autres ont échoué…

Que de jaloux vous allez faire ! Pour ma part, dit-il avec une modestie qui semblait révéler des prétentions abandonnées devant le récent triomphe du vicomte, je ne vous en veux pas ; je pense, comme les anciens, que le bonheur est la vertu des forts, et je m’incline devant les gens heureux.

Après ce compliment ironique, débité d’un ton calme et posé, Formose salua et prit congé de M. de Larcy.

LES PLANS DE BATAILLE.

Formose n’avait pas perdu de temps dans la poursuite de sa grande affaire : depuis quinze jours à peu près qu’il avait rencontré Mlle d’Orion chez la marquise de Veyle, il était déjà arrivé à quelques résultats ; M. de Larcy était pris pour longtemps dans la toile que lui avait tendue l’araignée italienne. En outre, sans connaître en rien les sentiments de Mlle d’Orion à laquelle Formose faisait une sorte de cour de regards et d’attentions équivoques, il avait une trop grande pratique des choses de la vie, pour ne pas être persuadé qu’il occupait un peu l’esprit de la jeune Henriette.

Aussitôt que Formose eut quitté M. de Larcy, qu’il avait laissé plongé dans l’ivresse de son nouvel amour, il se fit conduire sur le boulevard, fit stationner sa voiture devant Torloni ; et, prenant à pied la rue Taitbout, il arriva chez la Coradini qui venait de rentrer. Dès que l’Italienne l’aperçut, elle lui dit d’un ton d’orgueil satisfait :

— Eh bien, mon prince, êtes-vous content de moi ?

— Tout va bien, répondit Formose ; je quitte à l’instant le vicomte, il vous aime à la folie ; vous pouvez faire de lui tout ce que vous voudrez, un héros ou un niais.

— Et que faut-il qu’il soit ? demanda la Coradini en fixant sur le prince son regard de chatte.

— Un dupe ! pas autre chose.

— C’est déjà fait, mon prince.

— Rien n’est fait encore, reprit Formose, mais tout est préparé.

Vous accepterez l’hommage de sa passion, vous jouerez avec lui, aussi longtemps que vous le pourrez, les tendresses platoniques ; vous le maintiendrez dans les sphères les plus élevées du sentimentalisme, de manière à exciter en lui un amour violent, terrible, indomptable.

— Et si, en jouant ce jeu-là, j’allais me laisser aller à aimer le vicomte ?

— Ne plaisantons pas, dit froidement Formose, et pour le moment, songeons au plus pressé. Sous aucun prétexte il ne faut que M. de Larcy quitte Paris ; si d’ici à quelques jours il manifestait l’intention d’aller à la campagne, retenez-le par tous les moyens possibles, mettez en œuvre toutes les ressources dont vous disposez pour le retenir, exécutez une scène de jalousie terrible, cela vous ira très bien, en votre qualité d’italienne.

— Il ne me quittera pas.

— C’est convenu ?

— Je le promets.

— C’est bien, dit Formose en embrassant la Coradini, je compte sur toi, chère signora.

Le prince remonta immédiatement en voiture et rentra à son hôtel.

Il trouva réunis dans son salon les jeunes gens que nous n’avons fait qu’entrevoir au commence-