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La marquise se hâta de faire enlever les abat-jours.

Formose se leva, passa son mouchoir sur son visage et reparut calme et impassible. Mlle d’Orion, sur laquelle la musique exerçait une action nerveuse, était en proie à une violente agitation. La tapisserie qu’elle tenait à la main était tombée sur le tapis ; Formose la ramassa et la lui rendit ; mais soit effet du hasard, soit préméditation, le prince effleura de sa main la main de la jeune fille qui ne put retenir, à ce contact, une sorte de commotion magnétique ; leurs yeux se rencontrèrent dans un regard rapide comme l’éclair, et comme l’éclair brillant et mystérieux.

Formose s’entretint encore un instant avec M. de Pommereux, et se retira.

— Je ne connais, dit le vicomte de Larcy, lorsque Formose fut parti, que deux mots pour dépeindre cet homme, ce sont les paroles de Pie VII à Napoléon : comediante, tragediante.

Formose revint à pied à son hôtel ; la nuit était superbe, il avait renvoyé ses gens et sa voiture, il sentait le besoin de respirer à l’aise en marchant ; il récapitulait les scènes de cette soirée si vite écoulée, et où il avait vu face à face, pour la première fois, cette noble et belle héritière à la main de laquelle il aspirait, lui, étranger, qui devait passer aux yeux du monde pour un être au moins énigmatique ; il l’avait vue, il avait essayé sur elle l’effet de ce regard dominateur qui faisait toute sa force et toute sa puissance, mais ce n’était pas assez. D’ailleurs, la saison allait finir, le printemps déjà commencé, allait disperser dans les champs la société parisienne et fermer la porte des salons ; il fallait arriver de plain-pied jusque chez M. de Larcy et chez la mère de Mlle d’Orion ; il fallait surmonter les obstacles, niveler les montagnes et aplanir les vallées ; toutes les conceptions de ce génie fertile, qui avait conçu de si vastes desseins, se brisaient contre les difficultés élémentaires (les plus insurmontables, il est vrai) ; il ne demandait que l’occasion, mais l’occasion est sœur de la fortune, c’est-à-dire inconstante et fugitive.

Quand il arriva à son hôtel, l’un des plus élégants du faubourg Saint-Honoré, Formose trouva deux lettres qu’il lut sur-le-champ.

La première contenait ce qui suit :

« Cher prince,

« Si vous avez oublié vos amis d’un autre temps, ne vous étonnez pas cependant qu’une femme que vous avez aimée, et qui vous aime toujours, se rappelle à votre souvenir. Je ne suis à Paris que depuis quelques jours, aurai-je l’honneur de vous voir ?

« Signé Zanetta Coradini,

« Hôtel des Princes. »

Quelle est cette femme ? se demanda Formose en cherchant dans ses souvenirs ; où l’ai-je connue ? Ah ! j’y suis, dit-il, c’est à Naples ; c’était, si je m’en souviens bien, l’une des plus belles créatures que j’aie jamais vues.

Et laissant tomber la lettre sur la table, il décacheta le second billet.

Ce billet ne contenait pas une ligne d’écriture. C’était à la première vue, une simpie feuille de papier blanc. Formose l’approcha de la bougie, et l’écriture sympathique se manifestant tout-à-coup, il lut cette phrase laconique :

« Prince,

« Il y a un grand coup à faire, un coup à peu près sûr ; seulement il faudrait peut-être en venir aux dernières extrémités. Faut-il agir ?

« Signé l’un des sept. »

Formose prit aussitôt une plume et écrivit en marge de cette lettre en forme dé mémorandum.

Ne rien faire, absolument rien.

Puis il jeta les papiers sur une table de travail, et marcha à grands pas.

Après quelques instants de réflexion, il sonna son valet de chambre.

— Angelo, dit le prince, tu partiras demain pour la Normandie.

— Oui, Monseigneur, répondit le domestique.

— À quelques lieues au delà de Caen, il y a un château qu’on appelle Blenneville ; tu t’informeras, tu demanderas…

— Oui, Monseigneur.

— Écoute ceci. Tu verras si tout auprès de ce château il n’existe pas de propriété à vendre ; s’il y en a une, tu l’achèteras.

— Oui, Monseigneur.

— Il faut partir le plus tôt possible.

— À six heures du matin, je serai sur la route de Caen ; demain soir, je serai arrivé ; après-demain, la commission de Monseigneur sera remplie.