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idée que nous étions rivés les uns aux autres à perpétuité !

— Non, mais je croyais que tout ceci finirait par un grand coup heureux ou malheureux !

— Aussi, ai-je bien la volonté d’accomplir une grande chose avant notre dissolution. J’ai toujours su à quoi je m’engageais en m’associant avec six gentilshommes de votre nature ; je ne peux me séparer de vous et détruire la bande que lorsque je vous aurai faits tous riches.

— Bien dit ! cria Berthold ; et toi, tu seras pair et ministre constitutionnel ?

— Moi, répliqua Formose avec un sourire de dédain, je serai mieux que cela ; je serai le roi de l’aristocratie, le Brummel de la France !

— Peut-on te demander par quel moyen tu comptes toucher le but de cette ambition formidable ?

— D’abord je l’ai déjà dit que j’ai là (il montra son front) un plan dont l’exécution prochaine fera de moi l’un des première capitalistes de l’Europe. Ensuite il faut que je me marie, il faut que je m’appuie sur une famille considérable par sa fortune, son rang et sa noblesse. J’ai arrêté dans ma pensée celle qui sera ma femme.

— Et tu épouseras ?…

— Tout simplement la fille du feu duc d’Orion.

Mlle d’Orion ! s’écria Berthold, la plus riche et la plus noble héritière de France !… Tu es fou, mon cher.

— Pourquoi cela ? répliqua froidement Formose.

— Tu es fou, trois fois fou ! te dis-je… Voyons, continua Berthold en se levant et en marchant à grands pas, pousses-tu l’illusion au point de croire qu’il ne circule pas dans le monde de certains bruits désagréables sur notre compte ? Où la verras-tu, d’ailleurs, cette jeune fille ? Sera-ce aux Bouffes ou à l’Opéra que tu iras jouer de la prunelle comme un collégien ?

— Je la verrai ce soir chez son amie, la marquise de Veyle, à laquelle je dois être présenté par le comte de Pommereux.

— Mlle d’Orion, dit Berthold, a pour tuteur un oncle qui veille sur elle avec une sollicitude paternelle.

— Je le sais.

— On assure qu’elle doit épouser le fils de ce tuteur, M. Eugène de Larcy, attaché à l’ambassade de Vienne.

— Je le sais aussi ; mais tout cela ne me fera pas reculer d’un pas. Plus sera grande la difficulté, plus je ferai d’efforts pour réussir. Il n’est pas de succès sans bataille sérieuse.

— À quand le mariage ? demanda Berthold en riant.

— À trois mois, répondit Formose.

— On dirait qu’il ne s’agit que d’une lettre de change, ajouta Berthold. Quatre-vingt-dix jours de date, ni plus ni moins !… À ton succès, prince ! Et prenant un verre de vin de Champagne, il le vida d’un seul trait.

— Adieu donc, dit Formose en se levant, je vais me préparer à aller chez la marquise de Veyle.

Et il sortit en fredonnant le final de la Lucia.

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Mme la marquise de Veyle était une jeune femme de vingt-quatre ans au plus, et qui, à cet âge charmant, jouissait de l’inappréciable avantage d’agir à sa guise et selon sa fantaisie ; elle avait eu le malheur ou le bonheur d’être veuve après deux années de mariage.

Elle prétendait qu’elle avait connu du mariage juste ce qu’il fallait pour en conserver le plus tendre souvenir ; elle avait tant aimé son mari, qu’elle désirait le regretter toute sa vie.

C’est pourquoi elle donnait des fêtes de fort bon goût, improvisait des soirées pleines de gaîté et d’entrain, courait les bals, les concerts, les promenades, mettait la grâce la plus délicate à jouer de l’éventail et du regard, et faisait tant et si bien, que tous les jeunes papillons parisiens venaient l’un après l’autre se brûler aux beaux yeux de la ravissante Artémise.

Parmi ses adorateurs, un surtout se faisait remarquer, c’était M. le comte de Larcy, d’un âge déjà mûr et d’un embonpoint respectable ; le comte, en soupirant courageux, affrontait tous les dédains, bravait toutes les épigrammes, et apportait dans la poursuite de son amour moins de constance peut-être que d’obstination.

M. de Larcy, oncle de Mlle d’Orion, avait un fils de vingt-deux ans, lequel aspirait de son côté à la main de sa cousine.

Mme de Veyle n’avait pas été fâchée de recevoir dans son petit comité le prince Formose, malgré le mystère qui entourait la vie de ce dernier. On racontait tant de choses sur cet homme