Page:L'Écho des feuilletons - 1844.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

image enivrante, il fit quelques pas, et s’avança sur la pointe des pieds.

Nous ne dirons point ce qui se passa dans cette scène. Seulement, au moment où le jeune homme allait s’éloigner, la jeune femme, qui avait été endormie à l’aide d’un narcotique, se réveillant tout-à-coup, comprit, au désordre qui l’environnait et à la présence d’un étranger dans sa chambre, l’horrible drame qui venait de se jouer ; elle jeta un cri terrible et s’évanouit.

Le jeune homme avait disparu. Dans sa précipitation à prendre la fuite, il avait oublié un médaillon qu’il portait suspendu à son cou, et qui s’était détaché.

Deux heures après, l’inconnu faisait transporter dans sa voiture la jeune femme pâle et tremblante ; il jeta dix louis à l’hôtelier de la Trinidad, et se dirigea vers la France.

LES SEPT PÉCHÉS CAPITAUX.

Vers la fin de l’hiver de 1840, un homme se promenait sur cette partie du boulevard qui côtoie le passage de l’Opéra ; cet homme, vêtu avec une élégance de fort bon goût, avait l’aspect soucieux. Il marchait à grands pas, en murmurant entre ses lèvres quelques paroles sans suite qui trahissaient une assez grave préoccupation. L’inconnu dont il s’agit était grand, mince et d’une figure agréable ; l’aspect pâle et calme de son visage offrait un mélange assez singulier de douceur et d’énergie, de mollesse et de force ; ses yeux avaient surtout une expression indéfinissable. À la première vue son regard semblait éteint, tant il était incertain et vague ; on aurait dit des yeux de faïence ; mais en examinant attentivement cet homme, on voyait aussitôt percer du fond de son orbite une petite lentille noire dont l’attraction magnétique vous fascinait. Du reste, toute sa personne portait le cachet de la plus sévère distinction. Il était distingué dans sa mise, dans ses manières, dans sa démarche et dans sa tournure. Un certain parfum d’aristocratie se trahissait dans le moindre de ses gestes. C’était, en un mot, ce qu’on nomme dans le langage du monde un beau cavalier. Quant à son âge, il était difficile de le dire sur ses traits ; on pouvait lui donner aussi hardiment vingt-six ans que trente-six.

Il y avait à peu près une demi-heure que l’inconnu se promenait en tous sens sur le boulevard, lorsqu’il fut accosté par un jeune homme, qui lui dit d’un air étonné :

— Tu n’es pas encore au rendez-vous ? Moi qui pensais être en retard ; les autres doivent nous attendre.

— Ils attendront, répondit tranquillement l’inconnu.

— Est-ce que tu n’as pas l’intention de te rendre à la réunion des six ?… Tu sais bien qu’on ne peut rien décider sans toi.

— J’irai plus tard.

— Qu’attends-tu donc ?

— J’attends… j’attends… dit l’inconnu d’un air impatienté, une lettre importante…

— Pour nous tous ?

— Non, pour moi. Je te dirai cela dans un autre moment.

Il avait à peine fini de parler, qu’un domestique en riche livrée lui remit un billet dont il rompit aussitôt le cachet. Le billet contenait ce qui suit :

« Mon cher prince,

« Madame la marquise de Veyle a été enchantée de l’honneur que vous avez bien voulu lui faire en sollicitant vos petites entrées chez elle ; elle m’a chargé de vous dire qu’elle vous recevrait toujours avec plaisir, et elle vous attend ce soir. Vous trouverez à votre hôtel une lettre d’invitation.

« Tout à vous, « A. de Pommereux. »

Aussitôt après la rapide lecture de ce billet, la figure du jeune homme prit une expression joyeuse ; il mit la lettre dans la poche de sa redingote, et s’adressant à son domestique :

— Angelo, vous ferez atteler ce soir à onze heures.

Puis, prenant le bras de son ami, ils montèrent le boulevard, et se rendirent au café de Foy.

Ils pénétrèrent dans une salle séparée, au milieu de laquelle se dressait une table de sept couverts. Quatre jeunes gens, couchés sur des divans circulaires, se levèrent à leur arrivée, et vinrent leur donner des poignées de main.

— Messieurs, dit le principal personnage, qui était le prince Formose, je suis désolé de vous avoir fait attendre ; une affaire importante ne m’a pas permis d’être exact au rendez-vous. Puis il ajouta aussitôt d’un ton bref : — Ah çà ! Messieurs, êtes-vous bien sûrs de M. de Lorry, que vous voulez admettre dans notre association ?