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LE PRINCE FORMOSE

PROLOGUE


Sur la limite des deux royaumes de France et d’Espagne, tout auprès de célèbre îlot des Faisans qui ne dispute plus que quelques touffes de joncs aux continuels atterrissements du fleuve, se penche sur le versant de la colline, aux flancs de laquelle sont échelonnés, comme autant d’avant-postes, des mamelons, tantôt arides, tantôt verdoyants, la charmante ville d’Irun. Irun, c’est encore la vieille Espagne avec ses bâtisses à pignons et à tourelles, ses larges façades de pierre jaune, percées de meurtrières, avec ses balcons aux balustres écussonnés et rouilles, ses rues tortueuses et ses grands couvents endormis à l’ombre.

Vers la fin de 1821, une chaise de poste, attelée de quatre mules, venant de Madrid, traversait au grand trot la petite ville d’Irun, et s’arrêtait à la posada de la Trinidad, peu habituée à de telles aubaines. Maîtres et valets étaient sur pied pour recevoir dignement les hôtes que la Providence leur envoyait. La voiture ne contenait que deux personnes, un homme et une femme, L’homme, que ses gens appelaient Monsieur le duc, avait cinquante ans ; il portait sur toute sa personne les indices d’une vieillesse anticipée. La femme était belle et jeune ; elle paraissait souffrante. À peine descendue de sa chaise, elle monta dans sa chambre, et, sur les instances de l’inconnu, qui semblait être son mari, elle consentit à se coucher. Autant la jeune femme avait l’air calme et tranquille, autant l’homme qui l’accompagnait était agité ; il se promenait à grands pas, abîmé dans des pensées peu souriantes. Au bout de quelques minutes de silence, il prit la parole, et s’adressant à la jeune femme :

— Il faut absolument que ce que j’ai résolu s’accomplisse… Je vous engage à y réfléchir, Hélène.

— J’ai fait toutes mes réflexions, répondit la jeune femme. Jamais je ne consentirai à ce que vous me proposez.

— Quoi de plus simple pourtant, reprit l’in-