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poussa un cri de joie. Les matelots lui répondirent, et, compatissant sans doute à son impatience, se mirent à ramer avec plus de vigueur. En peu d’instants le canot aborda. Maurice allait s’y élancer, quand il se sentit saisir par le bras. Il se retourna, et vit Razim : elle était horriblement pâle, et ses yeux brillaient d’un éclat fébrile.

— Où vas-tu ? dit-elle au jeune homme, comme si elle ne connaissait pas le but de son voyage.

— Tu le sais, répondit-il ; en Europe.

— Ah ! Et que vas-tu faire en Europe ?

— Revoir ma mère et mes amis.

— Mais tu m’as dit que tu les avais quittés volontairement, parce qu’ils ne t’aimaient pas assez, et ne savaient pas te donner le bonheur.

— Je te l’ai dit, c’est vrai ; mais j’étais ingrat, et je ne sentais pas alors quel besoin nous avions les uns des autres. L’homme ne peut jamais oublier ceux qu’il a tant aimés dans son enfance, et la mort est amère loin du pays où l’on est né.

— Tu m’as dit que dans ton pays tout le monde souffrait, et que tu y avais souffert plus que tous les autres. Ainsi, tu quittes la terre où tu as trouvé le bonheur, pour celle où tu as gémi, et ceux qui t’aiment pour ceux qui ne t’aiment pas ! car tu ne vas rien chercher là-bas, que les choses dont tu n’as pas besoin. Homme d’Europe, tu cours, comme les enfants, après des jouets.

— Allons ! dit l’officier qui commandait le canot, embarquons promptement ; le capitaine veut que nous soyons sous voile au lever du soleil.

— Pour la dernière fois, dit Maurice, veux-tu me suivre ?

— Adieu, répondit Razim en se croisant les bras d’un air résigné. Maurice monta dans le bateau, qui s’éloigna aussitôt.

La jeune femme le regarda pendant quelque temps sans rien dire ; mais, chaque fois qu’elle voyait les rames tomber dans l’eau, elle éprouvait un horrible serrement de cœur. Enfin elle appela Maurice avec un cri déchirant, et se jetant dans la mer, elle se mit à nager de toutes ses forces dans la direction du bateau. Celui-ci continuait sa route, sans que personne fit attention a la malheureuse femme. Mais Maurice, s’étant retourné poor lui envoyer un dernier adieu, l’aprrçut qui nageait. Il demanda alors et obtint avec beaucoup de peine qu’on arrêtât le bateau pour attendre sa compagne. Celle-ci avançait rapidement en appelant toujours Maurice san& savoir que le bateau était arrêté. Mais quand elle s’en aperçut, voyant que Maurice t’attendait pour l’emmener, mais ne venait pas a elle, elle se retourna et se mit à nager en silence vers le* rivage. L’officier donna aussitôt l’ordre de ramer, et le bateau reprit la roule du navire. Mais alors Maurice s’écria :

— Attends-moi, Razim !

Et s’élançant dans la mer, il se mit à nager rapidement vers elle. En entendant la voix de Maurice elle était revenue, et en peu d’instants ils se rejoignirent. Ils se serrèrent la main sans rien dire, et ils regagnèrent le rivage, appuyée l’un sur l’autre.

De ce jour, tout fut fini. Une crise s’était opérée dans l’âme jusqu’alors incertaine de Maurice. L’amour avait triomphé en lui de tous les autres sentiments, et devant lui tous les fantômes du passé s’évanouirent comme les brouillards da matin à l’apparition du soleil. Le jeune homme ne forma plus de désirs que pour la continuation de son bonheur, et ne vit plus l’avenir que sous la forme du présent. Il recommença avec joie à partager les occupations de Mikoa, et donna à l’amour tous les instants qu’il dérobait au travail, faisant de l’un la récompense de l’autre. Razim, pleine de jeunesse et de passion, reprit bien vite l’habitude du bonheur ; et, bientôt, elle ne se rappela seulement plus qu’elle avait souffert. Pour Mikoa, quoique dès l’abord il eût feint de croire à la durée de cet heureux retour, il resta assez longtemps dans le doute. Mais lorsque deux mois entiers se furent passés sans que rien vint troubler la délicieuse harmonie qui s’était établie entre les deux amants, il prit à son tour dans l’avenir une confiance entière et inébranlable. Le jour où il vint faire part à ses deux enfants de la douce certitude qu’il avait acquise, fut pour eux, et pour lui surtout, un jour de fête. Il les avait réveillés le matin en chantant, et, quand ils ouvrirent les yeux, ils virent qu’il les avait couverts tous deux de fleurs. Il voulut faire avec eux une longue promenade dans la vallée, et s’arrêta à tous les endroits qu’ils aimaient, pour leur donner à tous des louanges et des bénédictions. Il termina sa tournée par le tombeau de Nada. Là, contre l’idée de ses enfants, qui s’attendaient à lui voir exécuter une danse solennelle