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consument, donnez-leur un but, et faites qu’elles me poussent droit à quelque chose, quand ce devrait être le malheur ! »

Ainsi disait-il, s’accusant et se plaignant à la fois. Chaque jour son mal empirait, et bientôt son désir de changement devint un besoin maladif. il ne pensait, il ne rêvait plus qu’aux moyens de quitter l’île et de retourner en Europe. Mais il n’en trouvait aucun. Il fallait absolument qu’il attendît l’arrivée d’un navire, et il savait que l’on passait quelquefois des années entières sans en voir un seul paraître dans l’Archipel.

Cette nécessité où il se trouva de rester dans un endroit qu’il voulait quitter, finit par exaspérer son caractère. Trop juste pour faire porter à ceux qui l’entouraient la peine de ses faiblesses et de ses souffrances, il ne se porta contre eux à aucan acte de violence, et ne prononça même jamais une parole amère ; mais son humeur devint chaque jour plus sombre et plus taciturne, et il finit par tomber dans un morne abattement.

Razim recevait le contre-coup de toutes ses souffrances, et s’affaissait en même temps que lui sous le poids d’une douleur qu’elle partageait.

Mikoa, plus désolé que tous deux peut-être, craignait de les perdre tous deux à la fois, l’un par le suicide, l’autre par le chagrin. La cabane qui avait naguère renfermé tant de bonheur n’abritait plus que la désolation.

Un jour pourtant, il sembla que le mauvais destin qui planait depuis quelque temps sur le toit solitaire venait de s’éloigner pour faire place à un destin plus doux. Toute la journée, Razim avait été souffrante ; mais au milieu de son malaise physique, elle avait conservé un calme inaltérable ; une sorte de joie triste se lisait dans ses regards, et de temps en temps un doux sourire venait errer sur son visage fatigué. Mikoa, mis à côté d’elle, paraissait partager son calme et prononçait quelquefois le mot d’espérance. Quand Maurice, qui avait été absent comme à son ordinaire pendant la plus grande partie du jour, fit entendre le soir, auprès de la cabane, ses pas lants et fatigués, le vieillard et la jeune fille échangèrent un regard ému, et se serrèrent convulsivement la main. Puis, quand il entra, ils se levèrent ensemble et marchèrent à sa rencontre avec une sorte de solennité.

Le jeune homme s’arrêta en les regardant avec étonnement. Mikoa lui prit la main, et, la plaçant sur la tête de Razim, dont l’agitation révélait une émotion profonde, il lui dit  :

— Voilà une mère.

— Mère ! répéta le jeune homme avec un cri de joie ; puis, saisissant sa compagne dans ses bras avec un transport frénétique, il la couvrit de baisers et de larmes. Elle lui rendit, en pleurant aussi, ses étreintes passionnées, et le vieux sauvage se mit à danser autour de la chambre avec une joie enfantine, en chantant : « Les génies nous ont ramené le bonheur ; les génies sont grands et bons. Je chasserai pour eux, je brûlerai ma proie sur une pierre qui leur est consacrée, et je danserai autour en chantant la grande prière, parce qu’ils ont ramené le bonheur dans notre case. »

En effet, la soirée fut heureuse. Pleins d’un doux attendrissement, les deux amants formèrent mille vœux et mille projets qui se rattachaient tous à la naissance de l’enfant que Dieu leur envoyait. Maurice paraissait avoir oublié toutes ses idées de départ, et Razim et Mikoa évitèrent d’y faire aucune allusion. Aucune explication n’avait eu lieu, et cependant il semblait que le passé eût été effacé d’un commun accord, et qu’une nouvelle vie allait commencer pour les habitants de la cabane. Ils s’endormirent tous doucement émus, firent d’heureux songes, et se réveillèrent aussi joyeux que les oiseaux qui chantaient sur leur toit.

Maurice se leva le premier, chaussa ses plus fortes sandales, prit son fusil, et, embrassant Razim tendrement, il lui dit : « Je pars pour la chasse ; mais aujourd’hui je t’apporterai du gibier. » Et il partit souriant. Mais le soir il revint les mains vides, et plus sombre que la veille. Razim, qui avait couru à sa rencontre, s’arrêta interdite à sa vue, et tourna tristement ses regards vers Mikoa, qui était assis au fond de la chambre, comme pour lui dire : « Que s’est-il donc passé, mon père ? » Mikoa comprit cette interrogation muette, et dit : « Un navire est arrivé aujourd’hui, ma fille. »

La pauvre femme ne répondit rien ; mais ses jambes fléchirent sous elle, et elle tomba assise par terre, pâle comme le rayon de la lune qui se glissait dans la chambre par la porte entrouverte. Maurice n’avait pas paru s’apercevoir de son émotion, et continuant la phrase de Mikoa, comme s’il ne se fût rien passé, il dit : « et il repart de-