Page:Kufferath - Tristan et Iseult, 1894.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
– 10 –

ment l’œuvre nouvelle, abandonnant du même coup la composition de l’Anneau du Nibelung au milieu du deuxième acte de Siegfried.

Il a lui-même noté la disposition d’esprit qui le détermine à cet abandon. Depuis huit ans dans son exil, en Suisse, aucune exécution de ses œuvres n’était venue stimuler son imagination et ses facultés créatrices ; et ce n’est qu’exceptionnellement, au prix de sacrifices énormes, le plus souvent personnels, que, de loin en loin, il avait pu se procurer à Zurich l’audition d’un orchestre[1]. L’Allemagne, où se répandait son Lohengrin, non encore entendu delui-même, lui demeurait fermée. Bon nombre de ses amis commençaient à douter de lui ; son long éloignement du théâtre et des réalités musicales devait, dans leur pensée, lui avoir fait perdre la notion juste des nécessités pratiques. Liszt lui-même, – Wagner ne le dit pas, mais il le laisse entendre, – Liszt, qui au début, s’était enflammé si ardemment pour le vaste projet des Nibelungen, Liszt semblait avoir perdu confiance et commençait à se montrer plus réservé.

« Alors, plaçant l’une après l’autre devant moi toutes ces partitions qui se refermaient muettes, avoue Wagner, j’en vins plus d’une fois à me considérer moi-même comme un somnambule inconscient de ses actes. C’est pour réagir contre le

  1. Il y dirigea notamment quelques concerts en vue desquels, l’orchestre de Zurich étant insuffisant, il était obligé de payer de sa bourse les artistes supplémentaires venus du dehors. Il faut rappeler à ce propos qu’en 1855, Wagner passa quelques mois à Londres, où il dirigea une série de concerts, au même moment que Berlioz.