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libère, nous délivre, en ce sens qu’il nous réintègre par le sentiment dans cette unité dont nous sépare, dans la vie normale, notre individualité propre, notre organisme distinct d’être concret. Nous sortons de la prison du Moi pour nous mouvoir dans les libres espaces du sentiment universel. Le langage populaire traduit d’une façon saisissante cet état d’exaltation ; de celui qui le subit, il dit naïvement : Il est parti. Et cette image est d’une justesse absolue. Il semble que nous soyons transportés dans un autre monde.

Sur ce point, l’Art se rencontre avec la Religion, quoique leurs voies et leur but soient différents. La contemplation extatique aboutit à la suppression du Moi, à l’absorption en Dieu, c’est-à-dire dans le principe d’unité, dans la substance absolue, tout comme la jouissance esthétique. Nous retrouvons encore la même tendance dans la plus essentielle manifestation vitale : l’amour ; car le rêve des amoureux, tel qu’il se traduit dans leurs gestes et leurs aveux, est de s’appartenir si complètement qu’ils ne soient plus distincts l’un de l’autre,