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l’orchestre

Un petit détail donnera, du reste, une idée de la finesse de son ouïe. Au cours d’une des répétitions, il arriva que dans un trait un second violon frôlât de son archet la corde voisine de celle qu’il faisait vibrer. Mince accident, en somme, dont peu de chefs se seraient souciés. M. Richter arrêta tout l’orchestre, et s’adressant sans hésitation à l’auteur de cette faute légère, il lui dit : « S’il vous plaît, une corde, pas deux ! » Ainsi au milieu du fouillis et du bruit de l’ensemble instrumental, ce frôlement accidentel dont l’auteur ne se doutait peut-être pas lui-même n’avait pas échappé à son oreille !

Si méticuleuse que soit la direction de M. Richter, elle demeure cependant extraordinairement vivante et enflammée. Le rencontrant après le concert, il me parut très enroué et presque aphone. Je lui en demandai la raison : « C’est que, dit-il, quand j’entre dans le feu de l’exécution, je ne puis m’empêcher de chanter avec les principales parties ; et comme on ne doit pas m’entendre, je fais des efforts surhumains pour chanter en dedans. C’est plus fatigant, ajouta-t-il, en riant, que de chanter à pleine voix ! »

Voilà, il me semble, un trait caractéristique ; et l’on comprend qu’un chef d’orchestre qui s’identifie si complètement avec l’œuvre entraîne les interprètes, qu’ils les subjugue plutôt qu’il ne les commande. Il vibre avec son orchestre et l’orchestre vibre avec lui.

Admirable tempérament d’artiste, en un mot, musicien accompli, intelligence supérieure et noblement éprise de tout ce qui est grandeur dans la musique et dans tous les arts, M. Hans Richter est de ces rares interprètes dont le concours est nécessaire aux créations