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alloient vers Fusine pour regagner les lagunes. Quelques vers luisans étinceloient sur les haies de buis comme des diamans. Je me trouvai insensiblement auprès de la superbe villa Pisani, louée par l’ambassadeur d’Espagne, et j’entendis la musique du bal. Je m’approchai ; on dansoit dans un pavillon dont les grandes portes vitrées donnoient sur le jardin. Plusieurs personnes regardoient, placées en dehors près de ces portes. Je gagnai une fenêtre, et je montai sur un grand vase de fleurs. Je me trouvai au niveau de la salle. L’obscurité de la nuit et l’éclat des bougies me permettoient de chercher Valérie sans être remarqué. Je la reconnus bientôt ; elle parloit à un Anglois qui venoit souvent chez le comte. Elle avoit l’air abattu, elle tourna ses yeux du côté de la fenêtre, et mon cœur battit : je me retirai, comme si elle avoit pu me voir. Un instant après, je la vis environnée de plusieurs personnes qui lui demandoient quelque chose ; elle paroissoit refuser, et mêloit à son refus son charmant sourire, comme pour se le faire pardonner. Elle montroit avec la main autour d’elle, et je me disois : « Elle se défend de danser la danse du châle ; elle dit qu’il y a trop de monde. Bien, Valérie, bien ! Ah ! ne leur montrez pas cette charmante danse ; qu’elle ne soit que pour ceux qui n’y verront que votre âme, ou plutôt qu’elle ne soit jamais vue que par moi, qu’elle entraîne à vos pieds avec cette volupté qui exalte l’amour et intimide les sens.