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marquise ; je revins au bout de quelques minutes : Valérie m’attendoit avec l’impatience d’un enfant, une légère émotion coloroit son teint ; elle s’approcha du miroir, mit un peu de rouge, puis elle s’arrêta pour réfléchir : il me sembloit que j’entendois ce qu’elle se disoit. Ensuite elle me regarda. « C’est ridicule, dit-elle, je tremble comme si je faisois une mauvaise action… C’est que j’ai promis… Cependant le mal n’est pas bien grand. Oh ! combien il doit être affreux de faire quelque chose de vraiment répréhensible ! » En disant cela, elle s’approcha de moi. « Vous pâlissez », me dit-elle ; elle prit ma main : « Qu’avez-vous, Linar ? vous êtes très pâle. « Effectivement, je me sentois défaillir ; ces mots : « Combien il est affreux de faire quelque chose de vraiment répréhensible ! » étoient entrés dans ma conscience comme un coup de poignard. Cette crainte de Valérie pour une faute aussi légère me fit faire un retour affreux sur ma passion criminelle et mon ingratitude envers le comte. Valérie avoit pris de l’eau de Cologne, elle vouloit m’en faire respirer. Je remarquai que d’une main elle tenoit le flacon, tandis que de l’autre elle ôtoit son rouge en passant ses jolis doigts sur ses joues. Nous sortîmes un instant après, et elle monta en voiture. J’allai rêver au bord de la Brenta ; la nuit me surprit, elle étoit calme et sombre ; je suivois le rivage, désert à cette heure-là, et je n’entendois que dans l’éloignement le chant de quelques mariniers qui s’en