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ainsi que son mari me trouvoient bizarre ; mais enfin ils ne m’ont point empêché de suivre mon nouveau plan. J’évite aussi de me promener seul avec elle. Il y a un charme si ravissant dans cette belle saison auprès d’un objet aussi aimable ! respirer cet air, marcher sur ces gazons, s’y asseoir, s’environner du silence des forêts, voir Valérie, sentir aussi vivement ce qui me donneroit déjà sans elle tant de bonheur ; dis, mon ami, ne seroit-ce pas défier l’amour ?

Le soir, quand nous arrivions, et que, fatiguée de la route, elle se couchoit sur un lit de repos, je venois toujours m’établir avec le comte auprès d’elle ; mais il se mettoit dans un coin à écrire, et moi, j’aidois Marie à faire le thé : c’étoit moi qui en apportois à Valérie, et qu’elle grondoit quand il n’étoit pas bon. Ensuite c’étoit sa guitare que je lui accordois. J’en joue mieux qu’elle ; il m’est arrivé de placer ses doigts sur les cordes dans un passage difficile ; ou bien je dessinois avec elle ; je l’amusois en lui faisant toutes sortes de ressemblances. Ne m’est-il pas arrivé de la dessiner elle-même ! Conçois-tu une pareille imprudence ? Oui, j’ai esquissé ses formes charmantes, elle portoit sur moi ses yeux pleins de douceur, et j’avois la démence de les fixer, de me livrer, comme un insensé, à leur dangereux pouvoir. Eh bien ! Ernest, je suis devenu plus sage ; il est vrai que cela me coûte bien cher : je perds non seulement tout le bonheur que j’éprouvois dans cette douce familia-