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LETTRE VI

Le 8 avril.

Je me promenois ce matin avec Valérie dans un jardin au bord d’une rivière. Elle a demandé le déjeuner ; on nous a apporté des fraises, qu’elle a voulu me faire manger à la manière de notre pays, car elle m’avoit entendu dire que cela me rappeloit les repas que je faisois avec ma sœur, et nous envoyâmes chercher de la crème. Nous avions avec nous quelques fragmens du poème de l’Imagination, que nous lisions en déjeunant. Tu sais combien j’aime les beaux vers ; mais les beaux vers, lus avec Valérie, prononcés avec son organe charmant, assis auprès d’elle, environné de toutes les magiques voix du printemps qui sembloient me parler, et dans cette eau qui couroit, et dans ces feuilles doucement agitées comme mes pensées ! Mon ami, j’étois bien heureux, trop heureux peut-être ! Ernest, cette idée seroit terrible ; elle porteroit la mort dans mon âme, qu’habite la félicité ; je n’ose l’approfondir.

Valérie fut émue en lisant l’épisode enchanteur d’Amélie et de Volnis ; et, quand elle arriva à ces vers :

En longs et noirs anneaux s’assembloient ses cheveux ;
Ses yeux noirs, pleins d’un feu que son mal dompte à peine,
Étinceloient encor sous deux sourcils d’ébène…