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passé devant mes yeux comme une de ces figures gracieuses et pures dont les Grecs nous dessinèrent les formes, et dont nous aimons à revêtir nos songes ; mais je croyois son âme trop jeune, trop peu formée, pour deviner les passions ou pour les sentir ; mes timides regards aussi n’osoient étudier ses traits. Ce n’étoit pas pour moi une femme avec l’empire que pouvoient lui donner son sexe et mon imagination ; c’étoit un être hors des limites de ma pensée : Valérie étoit couverte de ce voile de respect et de vénération que j’ai pour le comte, et je n’osois le soulever pour ne voir qu’une femme ordinaire. Mais aujourd’hui, oui, aujourd’hui même, une circonstance singulière m’a fait connoître cette femme, qui a aussi reçu une âme ardente et profonde. Oui, Ernest, la nature acheva son ouvrage, et, comme ces vases sacrés de l’antiquité, dont la blancheur et la délicatesse étonnent les regards, elle garde dans son sein une flamme subtile et toujours vivante.

Écoute, Ernest, et juge toi-même si j’avois connu jusqu’à présent Valérie. Elle avoit eu envie aujourd’hui d’arriver de meilleure heure pour dîner : le comte avoit envie d’avancer, mais il a cédé ; au lieu d’envoyer le courrier, il est monté lui-même à cheval pour faire tout préparer. Quand nous sommes arrivés, Valérie l’a remercié avec une grâce charmante ; ils se sont promenés un instant ensemble, et tout à coup le comte est revenu seul et d’un air assez embarrassé. Il m’a dit : « Nous