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me plonger dans l’abîme de ces mers dévorantes, et tirer de tous les élémens, de toutes les secousses, une nouvelle énergie, quand je sentois la mienne s’éteindre au milieu des feux qui me consumoient !

Ernest, j’ai quitté tous ces témoins de mon inquiète existence ; mais partout j’en retrouve d’autres : j’ai changé de ciel ; mais j’ai emporté avec moi mes fantastiques songes et mes vœux immodérés. Quand tout dort autour de moi, je veille avec eux ; et, dans ces nuits d’amour et de mélancolie, que le printemps exhale et remplit de tant de délices, je sens partout cette volupté cachée de la nature, si dangereuse pour l’imagination, par le voile même qui la couvre : elle m’enivre et m’abat tour à tour ; elle me fait vivre et me tue ; elle arrive à moi par tous les objets et me fait languir après un seul. J’entends le vent de la nuit, il s’endort sur les feuilles, et je crois ouïr encore des pas incertains et timides ; mon imagination me peint cet être idéal après lequel je soupire, et je me jette tout entier dans ce pressentiment d’amour et d’extase qui doit remplir le vague de mon cœur. Hélas ! serai-je jamais aimé ? Verrai-je jamais s’exaucer ces brûlans et ambitieux désirs ? Donnerai-je un moment, un seul instant, tout le bonheur que je pourrai sentir ? Vivrai-je de ce don splendide qui fait toucher au ciel ? Ah ! ce n’est pas tout, Ernest, que de donner, il faut faire recevoir ; ce n’est pas tout de valoir beaucoup, il faut être senti de même. Pour faire mûrir la datte, il faut le sol d’Afrique ;