Page:Krudener - Valerie.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’une ignorante ; et si j’ai senti, ce n’est pas parce que je sais penser, c’est parce qu’il y a des choses si belles qu’elles vous transportent et qu’elles semblent éveiller en vous une faculté qui vous avertit que c’est là la beauté. Je vous écris de Florence, qui est, dit-on, la ville des arts. Ah ! la nature l’a bien adoptée ! Aussi, que de fois j’ai rêvé aux bords de l’Arno et sous les épais ombrages des Caccines ! Cela m’a rappelé nos promenades de Sala et près de Vérone. Il n’y a pas de cirque ici ; mais que de monumens appellent l’attention ! que d’écoles différentes ont envoyé leurs chefs-d’œuvre ! c’est ici aussi que vivent la Vénus et le jeune Apollon : on peut réellement dire qu’ils vivent ; ils sont si purs, si jeunes, si aimables ! Ne sachant rien dire moi-même, il faut que je vous rende ce que disoit mon mari : que la Vénus est belle ; et l’on sent pourtant que, s’il y avoit une femme comme celle-là, les autres n’en pourroient être jalouses. Elle a si bien l’air de s’ignorer, d’être étonnée d’elle-même ! Sa pudeur la voile ; quelque chose de céleste couvre ses formes ; et elle intimide en paroissant demander de l’indulgence. J’ai été à la fameuse galerie du grand-duc ; j’y ai vu la Madonna della Seggiola, de Raphaël ; mes regards se sont pénétrés de sa haute beauté. Quel céleste amour remplit ses traits si purs ! Un saint respect, un doux ravissement, sont entrés dans mon cœur.

J’ai vu, non loin d’elle, un tableau d’un maître peu connu : c’était un berceau et une jeune femme assise à côté. Soudain je me suis prise à pleurer, et