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réclamer moi-même. À ces mots, je sentis le reste de mon sang se porter à mon cœur en battemens précipités et inégaux ; j’éprouvois une impatience qui contrastoit bien avec mon état ; j’étois si foible qu’à peine pouvois-je m’habiller, et mes yeux voyoient tous les objets doubles. Enfin, j’ai suivi mon conducteur. J’ai trouvé la lettre ; mais je n’ai osé la lire, de peur de me trouver mal, et je la serrois convulsivement dans mes doigts ; et, quand je pus me dérober à la vue des commis, je la portai à mes lèvres. Je pris une gondole ; j’embarquai les caisses ; j’allai tout près de là dans un jardin solitaire, et je m’étendis sous un laurier : déjà sensible aux douces émotions, je laissois venir sur ma tête les rayons du soleil qui alloit se coucher dans la mer, je comptois déjà avec les plaisirs, et, puisque je vivois depuis deux instans, je voulois déjà vivre heureux. Voilà bien l’homme ! Et qu’est-ce qui m’avoit tiré de cet état de stupeur ? Une feuille de papier. Je ne savois encore ce qu’elle contenoit, n’importe : avec elle étoient revenus mes souvenirs, mon imagination ; c’étoit Valérie qui l’avoit touchée, c’étoit elle qui avoit pensé à moi. Longtemps je ne pus lire ; des nuages épais couvroient mes yeux ; quelquefois je frissonnois, et je me disois : « Peut-être le comte a-t-il été rappelé et ne reviendra-t-il pas à Venise. » Quand je pus lire, je cherchai les dernières lignes, pour voir s’il n’y avoit rien d’extraordinaire, si elles ne disoient pas un plus long adieu… Je vis : « Faites suspendre