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LETTRE XXXI

Venise, le…

Il y a bien longtemps, mon ami, que je ne t’ai écrit ; mais qu’avois-je à te dire ? Parle-t-on d’un rivage abandonné, où tout attriste, d’où les eaux vives se sont retirées, et sur lequel a passé le vent de la destruction, qui a tout desséché ? Mais, actuellement que l’espérance d’être moins malheureux est venue derechef visiter mon âme, je pense à toi ; toi, dont l’amitié jeta de si beaux rayons dans ma vie ; toi, que j’aimois dans cet âge qui prépare aux longues affections, dans l’enfance, où le cœur n’a été rétréci par rien.

Ernest, je suis moins malheureux : que dis-je ? je ne le suis plus. Je vis, je respire librement ; je pense, je sens, j’agis pour elle : et si tu savois ce qui a produit cet énorme changement ! Une pensée d’elle est venue me toucher, à cent lieues de distance. Il m’a semblé qu’elle reprenoit des rênes abandonnées, qu’elle se chargeoit de ma conduite, et j’ai soulevé ma tête, un sang plus chaud a circulé dans mes veines, une douce fierté a relevé mon regard abaissé vers la terre.

Il y a eu hier deux mois qu’elle est partie. On est venu me demander à l’hôtel pour me dire qu’il y avoit à la douane des caisses de Florence, avec une lettre de la comtesse, qu’on me prioit de