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je la voyois, j’étois souvent malheureux. Forcé de lui cacher mon amour comme on cache un délit, je voyois un autre en être aimé, suffire à son bonheur ; et cet autre étoit un bienfaiteur, un père, que je craignois d’outrager ; et je sentois en moi un autre empire, une force de passion qui me rejetoit dans un coupable vertige. Ainsi, forcé de les aimer tous deux, ne pouvant échapper à aucun de ces deux ascendans, ma vie étoit une lutte continuelle ; mais, au milieu des vagues, je m’efforçois encore d’atteindre l’un ou l’autre rivage. L’un, escarpé et sévère, m’effrayoit ; mais je voyois la vertu me tendre la main, et il y avoit quelque chose en moi qui, dès mes plus jeunes années, m’animoit pour elle. L’autre rivage étoit comme une de ces belles îles jetées sur des mers lointaines, dont les parfums viennent enivrer le voyageur avant même qu’il l’aperçoive. Je fermois les yeux, je perdois la respiration, et la volupté m’entraînoit comme un foible enfant ; mais dans ces courts instans, au moins, j’avois le bonheur de l’ivresse, qui ne compte pas avec la raison. Sans doute, je me réveillois, et c’étoit pour souffrir ; mais, dans ces jours de danger, et souvent de douleurs, j’étois soutenu par une activité, par une fièvre de passion, par des momens d’orgueil, par des momens plus beaux de défiance, et que la vertu réclamoit : mon existence se composoit de grandes émotions ; et le souffle de Valérie, quelque chose qui arrivât, m’environnoit et m’empêchoit de m’éteindre comme à présent.