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Valérie et à l’impossibilité d’être jamais heureux, je suivois le tumulte de la place Saint-Marc ; le jour baissoit. Le vaste canal de la Judeïca étoit encore rougi des derniers rayons du soir, et les vagues murmuroient doucement ; je les regardois fixement, arrêté sur le quai, quand tout à coup le bruit d’une robe de soie vint me tirer de ma rêverie. Elle avoit passé si près de moi que mon attention avoit été éveillée. Je levai les yeux, et mon cœur battit avec violence ; la femme qui avoit passé près de moi, dont je ne pouvois voir les traits, mais dont je voyois encore la taille, les cheveux, je crus… je crus que c’étoit elle ; le trouble qu’elle m’inspire toujours me retint à ma place, je n’osois la suivre, éclaircir mes doutes. Elle avoit encore l’habillement du matin : le zendale, le mystérieux zendale, qui tantôt voile et tantôt cache toute la figure, la grande jupe de satin noir, le corset de satin lilas, le même que Valérie porte toujours, et que je lui avois encore vu la veille ; un voile noir enveloppoit sa tête, et laissoit échapper une boucle de cheveux cendrés, de ces cheveux qui ne peuvent être qu’à Valérie. « Est-ce la comtesse ? me disois-je. Mais seule, sans aucun de ses gens, traversant ce quai, à cette heure, c’est impossible ; et si, comme elle le fait souvent, elle alloit chercher l’indigence, Marie, sa chère Marie, seroit avec elle. » Tout en observant cette femme, je la suivois machinalement. Enfin elle s’est arrêtée devant une maison