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qu’occupe cette cité, d’abord couverte de pauvres pêcheurs, voyoit leurs nacelles raser timidement ces eaux, où voguent maintenant les galères du sénat. Peu à peu le commerce s’empara de ce passage, qui lioit si facilement l’Orient à l’Europe, et Venise devint la chaîne qui unit les mœurs d’une autre partie du monde à celles de l’Italie. De là ces couleurs si variées, ce mélange de cultes, de costumes, de langages, qui donnent une physionomie si particulière à cette ville et fondent les teintes locales avec le singulier assemblage de vingt peuples différens. Peu à peu aussi s’éleva ce gouvernement sage et doux pour la classe obscure et paisible de la république, implacable et cruel pour le noble qui auroit voulu le braver ou le compromettre ; semblable à ce Tarquin dont le fer frappoit chacune de ces fleurs qui osoit s’élever au-dessus de leurs compagnes. Il falloit, à Venise, que chaque tête altière pliât ou tombât, si elle ne se courboit pas sous le fer d’un gouvernement appuyé sur dix siècles de puissance, et enveloppé du lugubre appareil de l’inquisition et des supplices.

Aussi rien n’effraye l’imagination comme ce tribunal ; tout vous épouvante : ces gouffres sans cesse ouverts aux dénonciations ; ces prisons affreuses où, courbé sous des voûtes de plomb que le soleil embrase, le coupable expire lentement ; le silence habitant ces vastes corridors où l’on craint jusqu’à l’écho, qui rediroit un accent imprudent.