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« pâturage permanent ». Les champs, à perte de vue, ne sont couverts que d'herbe, haute de trois pouces, et de chardons à profusion. Du sommet de chaque colline on peut voir d'un seul regard vingt, trente de ces champs. Et des milliers d'hectares sont dans cet état, en dépit du travail formidable fourni par les grands-pères des cultivateurs actuels pour nettoyer ces terrains, les épierrer, les enclore, les drainer, etc. Dans toutes les directions, je pouvais voir des chaumières abandonnées et des jardins retournant à l'état sauvage. Toute une population a disparu, et ses derniers vestiges eux-mêmes disparaîtront si les choses continuent à aller du train dont elles vont. Et cela se passe dans une région douée d'un sol des plus fertiles et d'un climat certainement plus propice que celui de Jersey au printemps et au commencement de l'été, — une région où les plus pauvres paysans eux-mêmes peuvent parfois récolter des pommes de terre dans la première quinzaine de mai. Mais comment ce pays pourrait-il être cultivé quand il n'y a personne pour travailler la terre ? « Nous avons des champs. Les hommes passent à côté, mais n'y entrent jamais, » me disait un vieux paysan. Telle est en effet la réalité[1].

  1. Autour du petit village, près de la Darthe, où j'ai passé deux étés, il y avait : une ferme de 150 hectares avec 4 ouvriers et 2 garçons ; une autre ferme de 125 hectares avec 2 hommes et 2 garçons ; une troisième de 325 hectares avec 5 hommes et probablement autant de garçons. En vérité, le problème qui consiste à cultiver la terre avec le moins de gens possible, on l'a résolu en cet endroit en ne cultivant que les deux tiers du sol, et encore en les cultivant très pauvrement. — Depuis que ces lignes furent écrites, un mouvement de retour à la terre, a commencé en Angleterre et je lisais l'autre jour (novembre 1909) que l'on importait déjà à Covent Garden (marché central pour les légumes à Londres) des asperges que l'on faisait pousser en novembre dans le Devonshire méridional. Auparavant, personne n'utilisait ce riche sol et ce climat si doux pour les primeurs.