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trouve fréquemment en Allemagne. Je me souviens surtout de la façon enthousiaste dont il récitait les vers de Schiller, les accompagnant de gestes des plus naïfs qui faisaient mes délices. Il ne resta chez nous qu’un hiver.

L’hiver suivant, on m’envoya suivre les cours d’un gymnase de Moscou, et finalement je restai avec notre précepteur russe Smirnov. Bientôt nous devînmes amis, surtout après que mon père nous eût emmenés tous deux faire un voyage dans son domaine de Riazan. Durant ce voyage nous nous livrions à toutes sortes de plaisanteries et nous inventions des histoires humoristiques sur les hommes et les choses que nous voyions. D’autre part, l’impression produite sur moi par les régions accidentées que nous traversions ajoutait quelques traits délicats à mon amour croissant de la nature. Sous l’impulsion que me donna Smirnov, mes goûts littéraires commencèrent aussi à s’affirmer, et durant les années 1854 à 1857, j’eus amplement l’occasion de les développer. Mon précepteur, qui venait de terminer ses études à l’université, obtint une petite place de greffier près d’un tribunal où il passait ses matinées. J’étais donc laissé à moi-même jusqu’au dîner, et après avoir préparé mes leçons et fait une promenade, il me restait beaucoup de loisir pour lire et écrire. En automne, lorsque mon précepteur retournait à son bureau de Moscou, tandis que nous séjournions à la campagne, j’étais encore laissé à moi-même, et quoique toujours avec ma famille et passant une partie de la journée à jouer avec ma petite sœur Pauline, je pouvais en réalité disposer de mon temps comme je voulais.

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Le servage ne devait plus durer alors que quelques années. C’est de l’histoire récente — cela ne semble dater que d’hier et cependant, même en Russie, peu de gens se représentent exactement ce qu’était le servage. On se figure vaguement, il est vrai, que les conditions de vie qu’il créait étaient très mauvaises, mais on ne se fait pas une idée bien nette de l’influence exercée par