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la croix et disaient adieu à mon père. « Je t’en prie, Aléxis, ne va pas au club, » lui disait notre belle-mère à voix basse. La grande voiture, attelée de quatre chevaux, conduits par un postillon, se tenait à la porte, avec le marche-pied pliant qui en facilitait l’accès. Les autres voitures étaient là aussi. Nos places étaient fixées dans les ordres de marche, mais notre belle-mère devait « agir au mieux de son jugement » dès cette première phase des événements, et nous partions à la grande satisfaction de tous.

Pour nous autres enfants, ce voyage était une inépuisable source de plaisir. Les étapes étaient courtes et nous nous arrêtions deux fois par jour pour donner à manger aux chevaux. Comme les dames poussaient des cris à la moindre déclivité de la route, on trouvait plus commode de mettre pied à terre chaque fois que la route montait ou descendait, ce qu’elle faisait continuellement, et nous en profitions pour pousser une pointe dans les bois du bord de la route ou courir le long d’un ruisseau aux eaux cristallines. D’autre part, la chaussée si bien entretenue de Moscou à Varsovie, que nous suivions pendant quelque temps, présentait des tableaux intéressants et variés : files de chariots chargés, groupes de pèlerins et toutes sortes de gens. Deux fois par jour nous nous arrêtions dans des villages grands et animés, et après avoir longuement débattu le prix du foin, de l’avoine, du samovar, nous descendions aux portes d’une auberge. Le cuisinier Andréi achetait un poulet et faisait de la soupe, et pendant ce temps nous courions vers le bois voisin, ou bien nous inspections la basse-cour, les jardins, et nous observions le va-et-vient de l’auberge.

A Maloyaroslavetz, où une bataille eut lieu en 1812, lorsque l’armée russe essaya en vain d’arrêter Napoléon dans sa retraite de Moscou, nous avions coutume de passer la nuit. M. Poulain qui avait été blessé dans la guerre d’Espagne connaissait ou prétendait connaître en détail la bataille de Maloyaroslavetz. Il nous menait sur le champ de bataille et nous expliquait comment les Russes