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Je le connaissais bien, parce que mon père, voyant qu’il ne serait jamais prêt, m’avait appelé pour le copier dans le livre où il avait coutume de transcrire toutes les « notes pour le dehors » :

« A mon domestique Mikhael Aléïev, de la part du prince Aléxéi Pétrovitch Kropotkine, prince et commandeur,

« Tu dois, le 29 mai, à six heures du matin, partir avec mes bagages, de Moscou pour mon domaine situé dans le gouvernement de Kalouga, district de Mestchosk, sur la rivière Siréna, à une distance de soixante-cinq lieues de cette maison ; tu dois veiller à la bonne conduite des hommes qui te sont confiés, et si l’un d’eux se rend coupable de faits d’inconduite, d’ivresse ou d’insubordination, tu le remettras au commandant de la section du corps détaché des garnisons intérieures avec la lettre ci-incluse, et tu demanderas qu’on luidonne les verges (le premier violon savait de quoi il s’agissait), ce qui servira d’exemple aux autres.

« Tu dois en outre veiller à ce que les choses confiées à tes soins restent en bon état, et marcher conformément à l’ordre suivant : Premier jour, arrête-toi au village de N... où tu donneras à manger aux chevaux ; second jour, passe la nuit dans la ville de Podolsk ; » et ainsi de suite pour les sept ou huit jours que durerait le voyage.

Le lendemain, à dix heures au lieu de six, — la ponctualité n’est pas une vertu russe et les vrais Russes disent : « Grâce à dieu, nous ne sommes pas des Allemands », — les chariots quittaient la maison. Les serviteurs devaient faire le voyage à pied, seuls les enfants trouvaient à s’asseoir dans une baignoire ou un panier sur le haut d’une voiture chargée, et parfois l’une des femmes pouvait trouver une place sur le bord d’une charrette. Les autres avaient à marcher pendant soixante-cinq lieues. Tant qu’on n’avait pas quitté Moscou, la discipline se maintenait : il était expressément interdit de porter des bottes à revers ou de passer une