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— « Pierre, est-tu seul ? »

— « Oui. »

— « Alors descends vite. Les paysans désirent te voir. Des nouvelles de ta nourrice. »

Lorsque j’étais descendu au hall, un paysan me remettait un petit paquet contenant peut-être quelques gâteaux de seigle, une demi-douzaine d’œufs durs, et quelques pommes, le tout noué dans un mouchoir de coton multicolore. « Prends cela. C’est ta nourrice Vassilissa qui te l’envoie. Regarde si les pommes ne sont pas gelées. J’espère que non : je les ai gardées contre ma poitrine pendant tout le voyage. Nous avons eu un froid si terrible ! » Et la large face hirsute, mordue par la bise, s’éclairait de magnifiques dents blanches au-dessous de toute une forêt de poils.

— « Et voici pour ton frère, de la part de sa nourrice Anna, » venait dire un autre paysan, me tendant un paquet semblable au premier. « Pauvre garçon, dit-elle, à l’école il manque de bien des choses. »

Rougissant et ne sachant que dire, je murmurais enfin : « Dis à Vassalissa que je l’embrasse, et à Anna aussi, pour mon frère. » Alors toutes les faces devenaient encore plus radieuses.

« Oui, je le ferai, tu peux y compter. »

Mais, Kirila, qui montait la garde à la porte de mon père, murmurait tout à coup : « Monte vite ; ton père va venir à l’instant. N’oublie pas le mouchoir : ils veulent le remporter. »

Et repliant soigneusement le mouchoir usé, je désirais passionnément envoyer quelque chose à ma nourrice. Mais je n’avais rien à envoyer, pas même un jouet et nous n’avions jamais d’argent de poche.

* * *

Notre meilleur temps était celui que nous passions à la campagne. Dès que Pâques et la Pentecôte étaient passés, toutes nos pensées allaient vers Nikolskoïé. Cependant le temps s’écoulait, les lilas devaient être passés à Nikolskoïé, — et père était encore retenu à la ville par