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auquel elle se livra pendant sa convalescence, la rétablit plus complètement que ne l’aurait fait un séjour dans le meilleur sanatorium.

Vers la fin de l’été nous fûmes frappés cependant par un affreux malheur. Nous apprîmes que mon frère Alexandre venait de mourir.

Pendant les années que j’avais passées à l’étranger avant mon emprisonnement en France, nous avions cessé de nous écrire. Aux yeux du gouvernement russe, c’est un péché d’aimer un frère poursuivi pour ses opinions politiques. Continuer des relations avec lui, quand il a cherché un refuge à l’étranger, est un crime. Un sujet du tsar doit haïr tous ceux qui se révoltent contre l’autorité du gouvernement suprême, et Alexandre était entre les griffes de la police russe. Je refusai donc opiniâtrement d’écrire à mon frère ou à tout autre de mes parents. Mon frère n’avait plus aucun espoir d’être remis en liberté, depuis le jour ou le tsar avait écrit sur la pétition de notre sœur Hélène : « Qu’il y reste. » Deux ans après cette décision, une commission fut nommée pour fixer un terme à l’exil de ceux qui avaient été envoyés en Sibérie sans jugement et pour un temps illimité, et mon frère fut condamné à y rester encore cinq ans. Cela en faisait sept, en comptant les deux ans qu’il avait déjà faits. On nomma plus tard, sous le ministère de Loris Mélikov, une nouvelle commission, qui lui ajouta cinq autres années. Mon frère devait donc être libéré en octobre 1886. Cela lui faisait douze ans d’exil, d’abord dans une petite ville de la Sibérie orientale, et ensuite à Tomsk — c’est-à-dire dans la région basse de la Sibérie occidentale, où il n’avait même pas le climat sec et sain des hautes prairies de l’extrême-est.

Pendant mon emprisonnement à Clairvaux, il m’écrivit et nous échangeâmes quelques lettres. Il m’écrivait que puisque nos lettres étaient lues par la police russe en Sibérie et par l’autorité pénitentiaire en France, nous pouvions bien correspondre. Il me parlait de sa vie de famille, de ses trois enfant, qu’il caractérisait d’une