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notre colonie. Les espions peuvent tout feindre, excepté ces idées morales.

Lorsque je travaillais avec Reclus, il y avait à Clarens un de ces individus, que nous évitions de fréquenter. Nous n’avions aucun renseignement sur son compte, mais nous sentions qu’il n’était pas des nôtres, et comme il cherchait à pénétrer dans notre société, nous conçûmes des soupçons à son endroit. Je ne lui avais jamais adressé la parole et c’est pour cela qu’il me recherchait particulièrement. Voyant qu’il ne pouvait pas m’approcher par les voies ordinaires, il se mit à m’écrire des lettres, me donnant des rendez-vous mystérieux dans des buts mystérieux, soit dans les bois, soit en des lieux analogues. Par plaisanterie, j’acceptai une fois son invitation et je vins à l’endroit désigné, suivi à distance par un de mes bons amis ; mais le gaillard, qui avait probablement un complice, devait avoir appris que je n’étais pas seul et il ne vint pas. Je fus ainsi privé du plaisir de lui adresser jamais un simple mot. En outre, je travaillais à cette époque avec tant d’ardeur que toutes mes minutes étaient prises, soit par la géographie de Reclus, soit par Le Révolté et que je n’avais pas le temps de conspirer. Nous apprîmes cependant plus tard que cet individu envoyait à la Troisième Section des rapports détaillés sur les conversations supposées qu’il avait eues avec moi, sur mes prétendues confidences et sur les complots terribles que j’ourdissais à Pétersbourg contre la vie du tsar ! Et tout cela était pris pour argent comptant à Pétersbourg. Et en Italie, aussi. Quand Cafiero fut arrêté un jour en Suisse, on lui montra des rapports formidables d’espions italiens, qui avertissaient leur gouvernement que Cafiero et moi nous préparions à passer la frontière avec des bombes. Or je n’ai jamais été en Italie et je n’avais jamais eu la moindre intention de visiter ce pays.

Cependant, on ne peut pas dire que les espions fabriquent toujours leurs rapports de toutes pièces. Ils racontent souvent des choses vraies, mais tout dépend de