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tombé... » et ainsi de suite. Et quand on apprenait « que Jean venait d’échanger deux gilets de flanelle contre deux paquets de tabac de cinquante centimes, » la nouvelle se répandait en un clin d’œil dans toute la prison.

Les demandes de tabac pleuvaient chez nous. Un petit huissier, détenu dans la prison, voulant me faire passer un billet pour demander à ma femme, qui demeurait dans le village, d’aller voir de temps en temps la sienne qui s’y trouvait aussi, un nombre considérable de détenus prirent le plus vif intérêt à la transmission de ce message, qui dut passer par je ne sais combien de mains avant d’arriver à destination. Et quand il y avait quelque chose qui pût nous intéresser particulièrement dans un journal, celui-ci nous parvenait par la voie la plus inattendue, avec un petit caillou enveloppé dedans, pour permettre de le lancer par-dessus le mur élevé de notre jardin.

Le régime cellulaire n’empêche pas non plus les détenus de communiquer entre eux. Quand nous arrivâmes à Clairvaux et qu’on nous logea dans le quartier cellulaire, il faisait un froid terrible dans les cellules ; un tel froid que j’avais les mains engourdies et que lorsque j’écrivis à ma femme, qui était alors à Paris, elle ne reconnut pas mon écriture. On donna l’ordre de chauffer les cellules autant que possible, mais on avait beau faire, elles restaient toujours aussi froides. On s’aperçut alors que toutes les conduites d’air chaud étaient bouchée par de petits bouts de papier, des fragments de billets, des canifs et toutes sortes de menus objets que des générations de détenus y avaient cachés.

Martin, cet ami dont j’ai déjà parlé, obtint l’autorisation de faire une partie de sa peine en cellule. Il préférait l’isolement à la vie en commun avec une douzaine de camarades, et on le mit dans le bâtiment où se trouvaient les cellules. A son grand étonnement il s’aperçut qu’il n’était pas du tout seul dans sa cellule. Les murailles et les trous des serrures parlaient tout autour de lui. Dans l’espace d’un jour ou deux tous les détenus