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travail dégradant, soit à grimper dans une roue ou à faire de l’étoupe ; il est employé, au contraire, à un travail utile, et c’est pour cela que la prison de Clairveaux ressemble à une ville manufacturière, dans laquelle près de 1600 prisonniers fabriquent des meubles en fer, des cadres pour tableaux, des miroirs, des mètres, du velours, de la toile, des corsets, de petits objets de nacre, des sabots, etc.

Si l’insubordination est punie de châtiments abominables (que j’ai racontés dans mon livre sur les prisons, dont le chapitre concernant la France fut reproduit par le Temps), on ne pratique plus la flagellation comme cela se fait encore dans les prisons anglaises : un pareil traitement serait absolument impossible en France. En somme, la prison centrale de Clairvaux peut être considérée comme une des meilleures prisons d’Europe. Et pourtant, les résultats obtenus à Clairvaux sont aussi mauvais que dans toute autre prison construite d’après le vieux ou le nouveau système. « Le mot d’ordre est aujourd’hui de dire que les prisonniers deviennent meilleurs dans nos prisons, me disait un jour un des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. C’est une absurdité et je ne me laisserai jamais aller à dire un pareil mensonge. »

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La pharmacie de Clairvaux se trouvait au-dessous des chambres que nous occupions, et nous avions de temps en temps quelques rapports avec les prisonniers qui y étaient employés. L’un d’eux était un homme aux cheveux gris, âgé d’une cinquantaine d’années, qui achevait sa peine au moment où nous faisions la nôtre. Son départ de la prison fut touchant. I1 savait qu’il reviendrait dans quelques mois ou quelques semaines, et il pria le docteur de lui conserver sa place à la pharmacie. I1 n’en était pas à son premier séjour à Clairvaux, et il savait que ce ne serait pas le dernier. Il n’avait pas une âme au monde auprès de laquelle il pût passer ses vieux jours, à sa sortie de prison, « Qui voudra me donner du