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où la malaria est endémique, et je fus atteint a la fois de cette maladie et du scorbut. Alors ma femme, qui étudiait à Paris et travaillait au laboratoire de Würtz, pour préparer sa thèse de doctorat ès sciences, abandonna tout et vint s’établir au hameau de Clairvaux, qui comprend à peine une douzaine de maisons groupées au pied de la haute muraille d’enceinte de la prison Naturellement, sa vie dans ce hameau, en face du mur de la prison n’avait rien de gai ; elle y resta cependant jusqu’à ma libération. Pendant la première année, elle ne fut autorisée à me voir qu’une fois tous les deux mois, et toutes nos entrevues avaient lieu en présence d’un gardien, assis entre nous deux. Mais quand elle se fut établie à Clairvaux et qu’elle eut déclaré sa ferme intention d’y rester, on lui permit bientôt de me voir tous les jours dans une des petites maisons occupées par un poste de gardiens, dans l’enceinte de la prison, et on m’apporta ma nourriture de l’auberge où elle demeurait. Plus tard, nous eûmes même l’autorisation de nous promener dans le jardin du directeur, — tout en étant toujours étroitement surveillés, et d’ordinaire un de nos camarades partageait notre promenade.

Je fus très surpris de découvrir que la prison centrale de Clairvaux offrait tout à fait l’aspect d’une petite ville manufacturière, entourée de potagers et de champs de blé, le tout environné d’un mur d’enceinte. Le fait est que si les pensionnaires d’une prison centrale française dépendent peut-être plus du bon plaisir et des caprices du directeur et des gardiens qu’ils ne paraissent en dépendre dans les prisons anglaises, ils sont traités cependant d’une façon beaucoup plus humaine que de l’autre côté de la Manche. On a renoncé depuis longtemps en France à cet esprit de vengeance, reste du moyen âge, qui règne encore dans les prisons anglaises. Le prisonnier n’est pas contraint de dormir sur des planches et il n’a pas un matelas tous les deux jours ; dès le jour de son arrivée dans la prison, il reçoit un lit convenable et il le garde. On ne l’oblige pas à faire un