Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/485

Cette page n’a pas encore été corrigée

gris en cette matinée d’hiver commençait à poindre, des gendarmes entrèrent dans la maison pour m’arrêter. Voyant l’état dans lequel se trouvait ma femme, je demandai à rester près d’elle jusqu’après les funérailles, leur donnant ma parole d’honneur de me trouver à l’heure fixée devant la porte de la prison ; mais cela fut refusé et la nuit suivante, je fus transféré à Lyon. Élisée Reclus, averti par dépêche, vint aussitôt et témoigna à ma femme toute la bonté de son grand coeur ; des amis vinrent de Genève ; et quoique l’enterrement fût absolument civil, ce qui était une nouveauté dans cette petite ville, la moitié de la population y assista pour montrer à ma femme que les cœurs des pauvres gens et des paysans savoyards étaient avec nous et non avec leurs gouvernants. Quand mon procès eut lieu, les paysans le suivirent avec le plus vif intérêt et ils venaient tous les jours de leurs villages dans la montagne à la ville pour avoir les journaux.

Un autre incident, qui me toucha profondément, fut l’arrivée à Lyon d’un ami d’Angleterre. Il était envoyé par un radical bien connu et très estimé dans le monde politique anglais, dans la famille duquel j’avais passé quelques heures heureuses à Londres en 1882. Il était porteur d’une somme considérable d’argent destinée à obtenir ma liberté sous caution, et il était chargé en même temps de me dire, de la part de mon ami de Londres, que je n’avais pas besoin de me préoccuper de la caution, mais que je devais quitter immédiatement la France. D’une façon ou d’une autre, il trouva moyen de me voir librement — et non dans la cage de fer à double grille où il m’était permis d’avoir des entrevues avec ma femme — et il se montra aussi affecté de mon refus d’accepter l’offre qui m’était faite, que je fus moi-même touché de ce témoignage d’amitié de la part d’un homme que j’avais déjà appris à estimer si hautement, ainsi que son excellente et admirable femme.

Le gouvernement français voulut avoir un de ces grand procès qui produisent une impression sur la